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Герцен Александр Иванович - Du developpement des idêes rêvolutionnaires en Russie, Страница 4

Герцен Александр Иванович - Du developpement des idêes rêvolutionnaires en Russie


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IV

1812-1825

  
   La guerre de 1812 termina la première partie de la pêriode de Pêtersbourg. Jusque-là le gouvernement avait êtê en tête du mouvement; dès lors la noblesse se mit au pas avec lui. Jusqu'en 1812, on doutait des forces du peuple et l'on avait une foi inêbranlable dans la toute-puissance du gouvernement: Auster-litz êtait loin, on prenait Eylau pour une victoire et Tilsit pour un êvênement glorieux. En 1812, l'ennemi passa Memel, traversa la Lithuanie et se trouva devant Smolensk, cette "clef" de la Russie. Alexandre terrifiê accourut à Moscou pour implorer le secours de la noblesse et du nêgoce. Il les invita au palais dêlaissê du Kremlin pour aviser au secours de la patrie. Depuis Pierre Ier, les souverains de la Russie n'avaient pas parlê au peu pie; il fallait supposer le danger grand, à la vue de l'empereui Alexandre, au palais, et du mêtropolitain Platon, à la cathêdrale, parlant du pêril qui menaèait la Russie.
   La noblesse et les nêgociants tendirent la main au gouvernement et le tirèrent de l'embarras. Le peuple, oubliê même dans ce temps de malheur gênêral, ou trop mêprisê pour qu'on eût voulu lui demander le sang qu'on se croyait en droit de rêpandre sans son assentiment, le peuple se levait en masse, sans attendre un appel, dans sa propre cause.
   Depuis l'avènement de Pierre Ier, cet accord tacite de toutes les classes se produisait pour la première fois. Les paysans s'enrôlaient sans murmurer dans les rangs de la milice, les nobles donnaient le dixième serf et prenaient les armes eux-mêmes; les nêgociants sacrifiaient la dixième partie de leur revenu. L'agitation populaire gagnait tout l'empire; six mois après l'êvacuation de Moscou parurent sur la frontière d'Asie des bandes d'hommes armês qui accouraient du fond de la Sibêrie, à la dêfense de la capitale. La nouvelle de son occupation et de son incendie avait fait tressaillir toute la Russie, car pour le peuple Moscou êtait la vraie capitale, Elle venait d'expier par son sacrifice le rêgime assoupissant des tzars; elle se relevait entourêe d'une aurêole de gloire; la force de l'ennemi s'êtait brisêe dans ses murs; le conquêrant avait commencê au Kremlin sa retraite qui ne devait s'arrêter qu'à Ste-Hêlène. Au premier rêveil du peuple, Pê-tersbourg êtait êclipsê, et Moscou, capitale sans empereur, qui s'êtait victimêe pour la patrie commune, obtint une nouvelle importance.
   D'ailleurs après ce baptême de sang, la Russie entière entra dans une nouvelle phase.
   Il êtait impossible de passer immêdiatement de l'agitation d'une guerre nationale, de la promenade glorieuse à travers l'Europe, de la prise de Paris, au calme plat du despotisme de Pêtersbourg. Le gouvernement lui-même ne pouvait retourner tout de suite à ses anciennes allures. Alexandre fit le libêral, en cachette du prince Metternich, persifla des projets ultra-monarchiques des Bourbons et joua le rôle de roi constitutionnel en Pologne.
   Quant au pauvre paysan, il retourna à sa commune, à sa charrue et à son servage. Pour lui, rien ne changea, on ne lui concêda aucune franchise, pour prix de la victoire achetêe par son sang. Alexandre prêparait pour le rêcompenser le projet monstrueux des colonies militaires.
   Bientôt après la guerre, un grand changement se manifesta dans l'esprit public. Les officiers de la garde et des rêgiments de ligne, après avoir bravement exposê leur poitrine aux balles de l'ennemi, devinrent moins soumis et moins souples qu'autrefois. Des sentiments chevaleresques d'honneur et de dignitê personnelle, inconnus jusque-là dans l'aristocratie russe, d'origine plêbêienne, tirêe du peuple par la grâce des souverains, se rêpandirent dans la sociêtê. En même temps la mauvaise administration, la vênalitê des employês, les vexations policières excitaient des murmures unanimes. On voyait que le gouvernement, tel qu'il êtait organisê, ne pouvait, avec le meilleur vouloir, parer à ces abus, qu'il n'y avait aucune justice à attendre d'une infirmerie de vieillards qu'on appelait du nom pompeux de sênat dirigeant, corps d'une docilitê ignare qui servait au gouvernement de garde-meubles pour y relêguer les fonctionnaires usês, qui ne mêritaient ni de rester dans l'administration ni d'en être chassês. Des hommes d'Etat d'une grande autoritê, comme le vieil amiral Mordvinoff, parlaient hautement de l'urgence de nombreuses rêformes. Alexandre lui-même dêsirait des amêliorations, mais il ne savait comment s'y prendre. Karamzine, l'historien absolutiste, et Spêranski, êditeur du code de Nicolas, travaillaient à un projet de constitution d'après ses ordres.
   Des hommes ênergiques et sêrieux n'attendirent pas le terme de ces projets imaginaires, ils ne se contentèrent pas du mêcontentement vague et cherchèrent à l'utiliser d'une autre manière. Ils conèurent l'idêe d'une grande association secrète. Elle devait faire l'êducation politique de la jeune gênêration, propager les idêes de libertê et approfondir la question compliquêe d'une rêforme radicale et complète du gouvernement russe. Loin de s'en tenir à la thêorie, ils s'organisaient en même temps de ma-aière à profiter de la première circonstance favorable pour êbranler le pouvoir impêrial. Tout ce qu'il y avait de distinguê dans la jeunesse russe, de jeunes militaires comme Pestel, Fonvisine, Narychkine, Iouchnefski, Mouravioff, Orloff, les littêrateurs les plus aimês comme Rylêieif et Bestoujeff; des descendants des familles les plus illustres, comme les princes Obolênski, Troubetzkoï, Odoïefski, Volkonski, le comte Tcherriychoff, s'enrôlèrent avec empressement dans cette première phalange de l'êmancipation russe. Cette sociêtê prit d'abord le nom d'Allante du Bien-Etre.
   Chose êtrange, en même temps que ces jeunes gens ardents, pleins de foi et de vigueur, juraient de renverser l'absclutisme à Pêtersbourg, l'empereur Alexandre jurait de river la Russie aux monarchies absolutistes de l'Europe. Il venait de former la cêlèbre Sainte-Alliance, alliance mystique, inutile, impossible, quelque chose dans le genre d'un Gruttly absolutiste,d'un Tugenlbund formê par trois êtudiants couronnês, parmi lesquels Alexandre jouait le rôle de tête chaude.
   Les uns et les autres ont tenu leurs serments; les uns en allant mourir au gibet ou aux travaux forcês pour leurs idêes; Alexandre en laissant la couronne à son frère Nicolas.
   Les dix annêes qui s'êcoulèrent depuis la rentrêe des troupes jusqu'en 1825, forment l'apogêe de l'êpoque de Pêtersbourg. La Russie de Pierre Ier se sentait forte, jeune, pleine d'espêrance. Elle pensait que la libertê pouvait s'inoculer avec la même facilitê que la civilisation, et oubliait que celle-ci n'avait pas encore dêpassê la surface et n'appartenait qu'à une très petite minoritê. Cette minoritê êtait en vêritê dêveloppêe au point qu'elle ne pouvait rester dans les conditions provisoires du rêgime impêrial.
   C'êtait la première opposition vêritablement rêvolutionnaire qui se formait en Russie. L'opposition qu'avait rencontrêe la civilisation, au commencement du XVIIIe siècle, êtait conservatrice. Celle même que faisaient quelques grands seigneurs, tels que le comte Panine, sous l'impêratrice Catherine II, ne sortait pas du cercle des idêes strictement monarchiques; elle êtait parfois ênergique, mais toujours soumise et respectueuse. La direction qui s'empara des esprits après 1812 fut une tout autre. La collision entre le despotisme protecteur et la civilisation protêgêe devint imminente. Le premier combat qu'elles se livrèrent fut le 14 (26) dêcembre. L'absolutisme resta vainqueur; il montra alors quelle force il possêdait pour le mal.
   Le mot provisoire, que nous avons appliquê aux conditions du rêgime impêrial, a pu paraître êtrange, et pourtant il exprime le caractère qui frappe le plus, lorsqu'on envisage de près les actes du gouvernement russe. Ses institutions, ses lois, ses projets, tout en lui est êvidemment temporaire, transitoire, sans être dêterminê et sans forme dêfinitive. Ce n'est pas un gouvernement conservateur, dans le sens du gouvernement autrichien, entre autres, parce qu'il n'a rien à conserver, à l'exception de sa force matêrielle et de l'intêgritê du territoire. lia dêbutê par une destruction tyrannique des institutions, des traditions, des mœurs, des lois, des coutumes du pays, et il continue par une sêrie de bouleversements, sans acquêrir de la stabilitê et de la rêgularitê. Chaque règne met en question la majeure partie des droits et des institutions; on dêfend aujourd'hui ce qu'on ordonnait hier, on modiiie, on varie, on abroge les lois: le code publiê par Nicolas est la meilleure preuve du manque de principes et d'unitê dans la lêgislation impêriale. Ce code prêsente la rêunion de toutes les lois existantes, c'est une juxtaposition d'ordonnances, de dispositions, d'oukases plus ou moins contradictoires qui expriment beaucoup mieux le caractère du prince ou l'intêrêt du moment que l'esprit d'une lêgislation unitaire. Le code du tzar Alexis sert de base, les ordonnances de Pierre Ier, conèues dans une tout autre tendance, servent de continuation; une loi de Catherine, dans l'esprit de Beccaria et de Montesquieu, s'y trouve à côtê des ordres du jour de Paul Ier qui surpassent tout ce qu'on peut trouver de plus absurde et de plus arbitraire dans les êdits des empereurs romains. Le gouvernement russe, comme tout ce qui n'a pas de racine historique, non seulement n'est pas conservateur, mais tout au contraire, il aime les innovations jusqu'à la folie. 11 ne laisse rien en repos, et s'il amêliore rarement, il change continuellement. C'est l'histoire des uniformes qu'on moditie sans cesse et sans motif, pour les civils comme pour les militaires, passe-temps qui ne manquent pas de coûter des sommes immenses. C'est l'histoire du rebadigeonnage de vieux bâtiments, preuve de bon goût et du degrê de la civilisation du gouvernement russe. Quelquefois on fait des rêvolutions entières en Russie, sans qu'on s'en aperèoive à l'êtranger grâce au manque de publicitê et au mutisme gênêral. C'est ainsi qu'en 1838 on changea radicalement l'administration de toutes les communes rurales de l'empire. Le gouvernement s'immisèa dans les alfaires de la commune, il plaèa chaque village sous une double surveillance de la police, il commenèa une organisation forcêe des travaux agricoles, il dêpouilla des communes et en enrichit d'autres, il êtablit enfin une administration nouvelle pour 17.000.000 d'hommes, sans que cet êvênement, qui a cependant presque toutes les dimensions d'une rêvolution, ait seulement transpirê en Europe.
   Les paysans, craignant les cadastres et les interventions des agents publics, qu'ils connaissaient pour des pillards privilêgiês et uniformes, s'insurgèrent dans beaucoup d'endroits. Dans quelques districts des gouvernements de Kazan, Viatka et Tambov, on est allê jusqu'à les mitrailler, et le nouvel ordre fut maintenu.
   Un êtat pareil ne peut durer longtemps, et ce fut pour la première fois depuis 1812 qu'on commenèa à le sentir.
   Le temps d'une association politique et secrète êtait parfaitement bien choisi, sous tous les rapports. La propagande littêraire êtait très active; le cêlèbre Rylêieff en êtait l'âme, lui et ses amis, ils ont imprimê à la littêrature russe ce caractère d'ênergie et d'entrain qu'elle n'a jamais eu ni avant ni après. Ce n'êtaient pas seulement des paroles, c'êtaient des actes. On voyait une rêsolution prise, un but certain, on ne s'abusait pas sur le danger, mais on marchait d'un pas ferme et la tête haute vers une solution irrêvocable.
   La littêrature chez un peuple qui n'a point de libertê publique est la seule tribune, du haut de laquelle il puisse faire entendre !e cri de son indignation et de sa conscience.
   L'influence de la littêrature dans une sociêtê ainsi faite acquiert des dimensions que celles des autres pays de l'Europe ont perdues depuis longtemps. Les poêsies rêvolutionnaires de Rylêieff et de Pouchkine se trouvent entre les mains des jeunes gens dans les provinces les plus êloignêes de l'empire. Il n'y a point de demoiselle bien êlevêe qui ne les connaisse par cœur, d'ollicier qui ne les porte dans son havresac, pas de iils de prêtre qui n'en eût fait une douzaine de copies. Ces dernières annêes, cette ardeur s'est de beaucoup refroidie, parce qu'elles ont produit leur impression; toute une gênêration a subi l'influence de cette propagande jeune et ardente.
   La conjuration se rêpandait avec cêlêritê à Pêtersbourg, à Moscou, dans la Petite-Russie, parmi les ofliciers de la garde et de la 2e armêe. Les Russes indolents, tant qu'ils ne trouvent pas d'impulsions, sont faciles à se laisser entraîner. Une fois entraînês, ils vont aux dernières consêquences sans chercher d'accommodement.
   Depuis Pierre Ier on a beaucoup parlê de la facultê d'imitation que les Russes poussaient jusqu'au ridicule. Quelques savants Allemands prêtendaient que les Slaves fussent dênuês de tout caractère propre, que leur qualitê distinctive se bornât à l'accepta vite. En effet la nationalitê slave a une grande êlasticitê; une fois sortie de l'exclusivisme patriotique, elle ne trouve plus d'obstacle infranchissable pour comprendre les autres nationalitês. La science allemande qui ne passe pas le Rhin, et la poêsie anglaise, qui s'altère en traversant le Pas-de-Calais, ont acquis, il y a longtemps, le droit de citê chez les Slaves. Il faut ajouter à cela, qu'au tond de cette acceptivitê des Slaves, il y a quelque chose d'original qui, tout en se prêtant aux influences extêrieures, conserve son propre caractère.
   Nous retrouvons ce trait de l'esprit russe dans la marche de la conjuration qui nous occupe. Au commencement, elle eut une tendance constitutionnelle, libêrale dans le sens anglais. Mais à peine cette opinion fut-elle acceptêe, que l'association se transforma, elle devint plus radicale, à la suite de quoi beaucoup de membres l'abandonnèrent. Le noyau des conjurês se fit rêpublicain et ne voulut plus se contenter d'une monarchie reprêsentative. Ils pensaient avec raison que s'ils avaient assez de force pour limiter l'absolutisme, ils en auraient assez pour l'anêantir. Les chefs de l'union du Sud avaient en vue une fêdêralisation rêpublicaine des Slaves, ils travaillaient à une dictature rêvolutionnaire qui devait organiser les formes rêpublicaines.
   Il y avait plus; lorsque le colonel Pestel vint en visite à la Sociêtê du Nord, il plaèa la question sur un autre terrain. Il pensa que la proclamation de la rêpublique n'avancerait rien si l'on n'entraînait pas la propriêtê foncière dans la rêvolution. N'oublions pas qu'il s'agit ici des faits qui se sont passês entre 1817 et 1825. Les questions sociales n'occupaient alors personne en Europe, Gracchus Babœuf, "le fou, le sauvage" êtait dêjà oubliê, Saint-Simon êcrivait ses traitês, mais personne ne les lisait; Fou-rier êtait dans le même cas, les essais d'Owen n'intêressaient pas davantage. Les plus grands libêraux de ces temps, les Benjamin Constant, les P. L. Courier amaient jetê des cris d'indignation en entendant les propositions de Pestel, propositions qui ne se faisaient pas dans un club composê de prolêtaires, mais devant une grande association totalement formêe de la noblesse la plus riche. Pestel lui proposait d'arriver, au prix de leur vie, à l'expropriation de leurs biens. On ne s'accordait pas avec lui, ses opinions bouleversaient trop les principes de l'êconomie politiqus qu'on venait à peine d'apprendre. Mais on ne l'accusait pas de vouloir le pillage et le massacre; Pestel restait nêanmoins le vêritable chef de l'association du Sud, et il est plus que probable, qu'en cas de succès, il serait devenu dictateur, lui qui êtait socialiste avant le socialisme.
   Pestel n'êtait ni rêveur, ni utopiste; tout au contraire, il êtait complètement dans la rêalitê, il connaissait l'esprit de sa nation. En laissant les terres à la noblesse, on aurait obtenu une oligarchie, le peuple n'aurait même pas compris son affranchissement, le paysan russe ne voulant être libre qu'avec sa terre.
   Ce fut encore Pestel qui pensa le premier à faire participer le peuple à la rêvolution. Il êtait d'accord avec ses amis que l'insurrection ne pouvait rêussir sans l'appui de l'armêe, mais il voulait aussi entraîner à toute forte les sectaires religieux, projet profond dont la justesse et la portêe seront prouvêes par l'avenir.
   Après coup, nous pouvons dire que Pestel se faisait illusion: ni ses amis ne pouvaient travailler à une rêvolution sociale, ni le peuple faire cause commune avec la noblesse; mais il n'est donnê qu'aux grands hommes de se tromper de la sorte en anticipant sur le dêveloppement des masses.
   Il se trompait en pratique, de date, mais thêoriquement, il faisait une rêvêlation. Il êtait prophète, et toute l'association fut une immense êcole pour la gênêration prêsente.
   Le 14 (26) dêcembre a rêellement ouvert une nouvelle phase à notre êducation politique, et ce qui peut paraître êtrange, la grande influence que cette œuvre a eue et qui a agi plus que la propagande et plus que les thêories, fut le soulèvement même, la conduite hêroïque des conjurês sur la place publique, pendant le procès, dans les fers, en prêsence de l'empereur Nicolas, dans les mines, en Sibêrie. Ce qui manquait aux Russes, ce n'êtaient ni les tendances libêrales,ni la conscience des abus, il leur manquait un prêcêdent qui leur donnât l'audace de l'initiative. Les thêories inspirent des convictions, l'exemple forme la conduite. Nulle part un pareil exemple n'est plus nêcessaire que là où l'homme n'est pas habituê à poursuivre sa volontê, à se mettre en êvidence, à compter sur lui-même et à estimer ses forces, où au contraire il a toujours êtê mineur, sans voix et sans opinion, abritê derrière la commune comme derrière une enceinte infranchissable, absorbê par l'Etat dans lequel il êtait comme perdu. Avec la civilisation les idêes de libertê s'êtaient dêveloppêes nêcessairement, mais le mêcontentement passif êtait trop entrê dans les habitudes; on voulait sortir du despotisme, mais personne ne voulait être le premier à le ïaire.
   Eh bien, les premiers se prêsentèrent avec une grandeur d'âme et une force de caractère telles, que le gouvernement, dans son rapport officiel, n'osa ni les abaisser ni les flêtrir; Nicolas se borna à les punir avec fêrocitê. Le silence, la passivitê muette êtaient rompus; du haut de leur gibet, ces hommes rêveillèrent l'âme de la nouvelle gênêration, un bandeau tomba des yeux.
   L'action du 14 dêcembre sur le gouvernement même ne fut pas moins dêcisive; de Pierre à Nicolas, le gouvernement avait tenu haut le drapeau du progrès et de la civilisation; dès l'annêe 1825, rien de pareil; le pouvoir ne songe qu'à ralentir le mouvement intellectuel, ce n'est plus le mot de progrès qu'on inscrit sur la bannière impêriale, mais les mots: "autocratie, orthodoxie, nationalitê", ce mane, fare, takel du despotisme, et de plus les deux derniers mots n'êtaient là que pour la forme. Religion, patriotisme, ce n'êtaient que les moyens pour raffermir l'autocratie, le peuple n'a jamais êtê dupe du nationalisme de Nicolas; le grand mot qui exprime son règne c'est le despotisme disant: "pêrisse la Russie, pourvu que le pouvoir reste illimitê et intact". Avec cette devise sauvage plus de malentendu, et ce fut encore le 14 dêcembre qui forèa le gouvernement à quitter l'hypocrisie et à arborer le despotisme.
   Peu avant le sombre règne qui commenèa dans le sang russe et qui continua dans le sang polonais, parut le grand poète russe Pouchkine, et dès qu'il parut, il devint nêcessaire, comme si la littêrature russe ne pouvait se passer de lui. On a lu les autres poètes, on les a admirês, Pouchkine est dans les mains de chaque Russe civilisê, qui le relit toute sa vie. Sa poêsie n'est plus ni un essai ni une êtude, ni un exercice, c'êtait sa vocation, et elle devint un art mûr; la partie civilisêe de la nation russe trouva en lui, pour la première fois, le don de la parole poêtique.
   Pouchkine est on ne peut plus national et en même temps intelligible aux êtrangers. Il contrefait rarement la langue populaire des chansons russes, il exprime sa pensêe telle qu'elle surgit dans son esprit. Comme tous les grands poètes, il est toujours au niveau de son lecteur, il grandit, devient sombre, orageux, tragique, son vers mugit comme la mer, comme la forêt agitêe par une tempête, mais il est en même temps serein, limpide, pêtillant, avide de plaisirs, d'êmotions. Partout, le poète russe est rêel, rien en lui de maladif, rien de cette pathologie psychologique exagêrêe, de ce spiritualisme chrêtien abstrait, qu'on voit si souvent dans les poètes allemands. Sa muse n'est pas un être pâle, aux nerfs attaquês, roulê dans un linceul, c'est une femme ardente, entourêe de l'aurêole de la santê, trop riche de sentiments vêritables pour en chercher de factices, assez malheureuse pour ne pas inventer de malheurs artificiels. Pouchkine avait la nature panthêiste, êpicurienne des poètes grecs, mais il y avait encore dans son âme un êlêment tout moderne. En se repliant sur lui-même, il trouvait au fond de son âme la pensêe amère de Byron, l'ironie corrosive de notre siècle.
   On a cru voir dans Pouchkine un imitateur de Byron. Le poète anglais a en effet exercê une grande influence sur le poète russe. On ne sort jamais du commerce d'un homme fort et sympathique sans subir son influence, sans mûrir à ses rayons. La confirmation de ce qui vit dans notre cœur, par l'assentiment d'un esprit qui nous est cher,nous donne un êlan et une portêe nouvelle. Mais il y a loin de cette action naturelle à l'imitation. Après les premiers poèmes de Pouchkine où l'influence de Byron se fit sentir puissamment, il devint à chaque nouvelle production de plus en plus original; toujours plein d'admiration pour le grand poète anglais, il ne fut ni son client ni son parasite, "ni tradut-tore ni traditore".
   Pouchkine et Byron s'êcartent complètement l'un de l'autre vers la fin de leur carrière, et cela par une cause bien simple; Byron êtait profondêment anglais et Pouchkine profondêment russe, russe de la pêriode de Pêtersbourg. Il connaissait toutes les souffrances de l'homme civilisê, mais il avait une foi dans l'avenir que l'homme de l'Occident n'avait plus. Byron, la grande individualitê libre, l'homme qui s'isole dans son indêpendance et qui s'enveloppe de plus en plus dans son orgueil, dans sa philosophie fière et sceptique, devient de plus en plus sombre et implacable. Il ne voyait aucun avenir prochain, accablê de pensêes amères, dêgoûtê du monde, il va livrer ses-destinêes à un peuple de pirates slavo-hêllènes qu'il prend pour des Grecs de l'ancien monde. Pouchkine, au contraire, se calme de plus en plus, il se plonge dans l'êtude de l'histoire russe, rassemble des matêriaux pour une monographie de Pougatcheff, il compose un drame historique, Boris Godounoff, il a une foi instinctive dans l'avenir de la Russie; les cris de triomphe et de victoire qui l'ont frappê enfant encore, en 1813 et 1814, retentissaient dans son âme; il a êtê même entraînê pendant quelque temps par un patriotisme pêtersbourgeois qui se vante du nombre de baïonnettes, qui s'appuie sur les canons. Sans doute cette morgue est aussi peu pardonnable que l'aristocratisme poussê à l'excès de lord Byron, mais la cause en est êvidente. Il est douloureux à dire, mais Pouchkine avait un patriotisme exclusif; de grands poètes ont êtê courtisans, têmoins Gœthe, Racine, etc.; Pouchkine n'a êtê ni courtisan, ni gouvernemental, mais la force brutale de l'Etat lui plaisait par instinct patriotique, ce qui fit qu'il partagea le vœu barbare de rêpondre aux raisonnements par des boulets. La Russie est en partie esclave, parce qu'elle tiouve de la poêsie dans la force matêrielle et voit de la gloire à être l'êpouvantail des peuples.
   Ceux qui disent qu'Onêguine, poème de Pouchkine, est le Don Juan des mœurs russes ne comprennent ni Byron, ni Pouchkine, ni l'Angleterre, ni la Russie: ils s'en tiennent à la forme extêrieure. Onêguine est la production la plus importante de Pouchkine, elle a absorbê la moitiê de son existence. Ce poème sort même de la pêriode qui nous occupe, il a êtê mûri par les tristes annêes qui ont suivi le 14 dêcembre, et l'on irait croire qu'une œuvre pareille, une autobiographie poêtique serait une imitation!
   Onêguine, ce n'est ni Hamlet, ni Faust, ni Manfred, ni Obermann, ni Trenmor, ni Charles Moor; Onêguine est un Russe, il n'est possible qu'en Russie, là il est nêcessaire et on l'y rencontre à chaque pas. Onêguine, c'est un fainêant, parce qu'il n'a jamais eu d'occupation; un homme superflu dans la sphère où il se trouve, sans avoir assez de force de caractère pour en sortir. C'est un homme qui tente la vie jusqu'à la mort et qui voudrait essayer de la mort pour voir si elle ne vaut pas mieux que la vie. Il a tout commencê sans rien poursuivre, il a pensê d'autant plus qu'il a moins fait, il est vieux à l'âge de vingt ans et rajeunit par l'amour en commenèant à vieillir. Il a toujours attendu comme nous tous, quelque chose, parce que l'homme n'a pas assez de folie pour croire à la durêe de l'êtat actuel de la Russie... Rien n'est venu, et la vie s'en allait. Le personnage d'Onêguine est si national qu'il se rencontre dans tous les romans et dans tous les poèmes qui ont eu quelque retentissement en Russie, non pas qu'on ait voulu le copier, mais parce qu'on le trouve continuellement autour de soi ou en soi-même.
   Tchatski, le hêros d'une comêdie cêlèbre de Griboïêdoff, est un Onêguine raisonneur, son frère aînê.
   Le Hêros de nos jours, par Lermontoff, est son frère cadet. Même dans les productions secondaires, Onêguine reparaît, outrê ou incomplet, mais reconnaissable. Si ce n'est lui, c'est au moins sa copie. Le jeune voyageur, dans le Tarantass du ete Sollogoub, est un Onêguine bornê et mal êlevê. Le fait est que tous, nous sommes plus ou moins Onêguine, à moins que nous n'aimions mieux être tchinovnik (employê) ou pomechtchik (propriêtaire).
   La civilisation nous perd, nous dêsoriente, c'est elle qui fait que nous sommes à charge aux autres et à nous-mêmes, dêsœuvrês, inutiles, capricieux; que nous passons de l'excentricitê à la dêbauche, dêpensant sans regret notre fortune, notre cœur, notre jeunesse, et cherchant des occupations, des sensations, des distractions, comme ces chiens d'Aix-la-Chapelle de Heine qui demandent aux passants, comme une grâce, un coup de pied pour les dêsennuyer. Nous faisons tout, de la musique, de la philosophie, de l'amour, de l'art militaire, du mysticisme, pour nous distraire, pour oublier le vide immense qui nous opprime.
   Civilisation et esclavage, sans même qu'il y ait "un chiffon" entre les deux, pour empêcher que nous ne soyons pas broyês intêrieurement ou extêrieurement entre ces deux extrêmes forcêment rapprochês!
   On nous donne une êducation large, on nous inocule les dêsirs, les tendances, les souffrances du monde contemporain, et l'on nous crie: "Restez esclaves, muets, passifs, ou vous êtes perdus". En rêcompense, on nous laisse le droit d'êcorcher le paysan et de dissiper sur le tapis vert ou au cabaret l'impôt de sang et de larmes que nous prêlevons sur lui.
   Le jeune homme ne rencontre aucun intêrêt vivace dans ce monde de servilisme et d'ambition mesquine. Et pourtant, c'est ' dans cette sociêtê qu'il est condamnê à vivre, car le peuple est encore plus êloignê de lui. "Ce monde" est au moins composê d'êtres dêchus de la même espèce, tandis qu'il n'y a rien de commun entre lui et le peuple. Les traditions ont êtê si bien rompues par Pierre Ier qu'il n'y a pas de force humaine capable de les rêunir, au moins quant à prêsent. Il nous reste l'isolement ou la lutte, et nous n'avons pas assez de force morale ni pour le premier ni pour la seconde. C'est ainsi qu'on se fait Onêguine, si l'on ne pêrit pas dans les maisons publiques ou dans les casemates d'une forteresse.
   Nous avons volê la civilisation, et Jupiter veut nous punir avec le même acharnement qu'il a mis à tourmenter Pro-mêthêe.
   A côtê d'Onêguine, Pouchkine a placê Vladimir Lênski, autre victime de la vie russe, le vice-versa d'Onêguine. C'est la souffrance aiguë, à côtê de la souffrance chronique. C'est une de ces natures virginales, pures, qui ne peuvent s'acclimater dans un milieu corrompu et fou, qui ont acceptê la vie, mais ne peuvent rien accepter de plus du sol immonde, si ce n'est la mort. Victimes expiatoires, ces adolescents passent jeunes, pâles, marquês au front par la fatalitê, comme un reproche, comme un remords et laissent encore plus noire la nuit triste dans laquelle "nous nous mouvons et sommes".
   Pouchkine a tracê le caractère de Lênski avec cette tendresse, qu'on a pour les rêves de sa jeunesse, pour les rêminiscences de ce temps où l'on a êtê si plein d'espêrance, de puretê, d'ignorance. Lênski est le dernier cri de conscience d'Onêguine, car c'est lui-même, c'est son idêal de jeunesse. Le poète a vu qu'un tel homme n'avait riea à faire en Russie, il l'a tuê d3 la main d'Onêguine, d'Onêguine qui l'aimait et qui, en le visant, ne voulait pas le blesser. Pouchkine s'est effrayê lui-même de cette fin tragique, il se presse de consoler le lecteur, en lui traèant la via banale qui attendait le jeune poète.
   A côtê de Pouchkine se place aussi un Lênski - ce fut Vênê-vitinoff, âme candide et poêtique êcrasêe par les mains grossières de la vie russe, à vingt-deux ans.
   Entre ces deux types, entre l'enthousiaste dêvouê, entre le poète, et de l'autre côtê, l'homme fatiguê, aigri, inutile; eutre la tombe de Lênski et l'ennui d'Onêguine, se traîne le fleuve profond et bourbeux de la Russie civilisêe, avec ses aristocrates, bureaucrates, officiers, gendarmes, grands-ducs et empereur, masse informe et muette de bassesse, de servilisme, de fêrocitê et d'envie, qui entraîne et engloutit tout, "ce gouffre, comme dit Pouchkine, où, cher lecteur, nous nous baignons avec vous".
   Pouchkine a dêbutê par des poêsies rêvolutionnaires d'une grande beautê. Alexandre l'a exilê de Pêtersbourg sur les confins mêridionaux de l'empire; nouvel Ovide, il passa l'êpoque de sa vie de 1819 à 1825 dans la Chersonèse taurique. Sêparê de ses amis, loin du mouvement politique, au centre d'une nature magnifique mais sauvage, Pouchkine, poète avant tout, se concentra dans son lyrisme; ses pièces lyriques sont les phases de sa vie, la biographie de son âme; on y trouve les vestiges de tout ce qui êmouvait cette âme de feu, la vêritê et l'erreur, l'entraînement passager d'un moment et les sympathies profondes et êternelles.
   Nicolas rappela Pouchkine de l'exil quelques jours après avoir fait pendre les hêros du 14 dêcembre. Il voulut le perdre dans l'opinion publique par sa grâce, le rêduire par ses bontês.
   Pouchkine rentra et ne reconnut plus ni la sociêtê de Moscou ni la sociêtê de Pêtersbourg. Il ne trouva plus ses amis, on n'osait même pas profêrer leur nom, on ne parlait que d'arrestations, de visites domiciliaires, d'exil; tout êtait sombre et terrifiê. Il rencontra un instant Mickiewicz, cet autre poète slave; ils se tendirent la main comme au milieu d'un cimetière. L'orage grondait sur leurs têtes: Pouchkine revenait de l'exil, Mickiewicz s'y rendait. Leur entrevue fut lugubre, mais ils ne se comprirent pas. Le cours de Mickiewicz, au Collège de France, a mis au jour le dissentiment qui existait entre eux; pour un Polonais et un Russe le temps de se comprendre n'êtait pas encore arrivê.
   Nicolas, continuant la comêdie, nomma Pouchkine gentilhomme de la chambre. Celui-ci saisit le trait et ne vint pas à la cour. On lui prêsenta alors l'alternative de se rendre au Caucase ou de revêtir l'habit de cour. Il êtait dêjà mariê à une femme qui a causê ensuite sa perte, un second exii qui paraissait plus pênible que le premier,- il opta pour la cour. On reconnaît le mauvais côtê du caractère russe dans ce manque de fiertê, de rêsistance, dans cette souplesse douteuse.
   Le grand-duc hêritier le complimentant un jour à l'occasion de sa promotion, "Altesse, lui rêpondit Pouchkine, vous êtes le premier qui me fêlicitez à ce sujet".
   En 1837, Pouchkine fut tuê en duel par un de ces spadassins êtrangers qui, comme les mercenaires du moyen âge ou les Suisses de nos jours, vont mettre leur êpêe au service de tout despotisme. Il tomba au milieu de la plênitude de ses forces, sans avoir achevê ses chants, sans avoir dit ce qu'il avait à dire.
   Tout Pêtersbourg, à l'exception de la cour et de son entourage, pleura; ce fut alors seulement qu'on vit quelle popularitê il avait acquise. Pendant son agonie, une foule compacte se pressait autour de sa maison pour avoir des nouvelles de sa santê. Gomme c'êtait à deux pas du Palais d'hiver, l'empereur put, de ses fenêtres, contempler la foule; il en conèut de la jalousie et confisqua au public les funêrailles du poète; on transporta furtivement, par une nuit glaciale, le corps de Pouchkine, entourê de gendarmes et d'agents de police, dans une tout autre êglise que celle de sa paroisse; là, un prêtre lut hâtivement la messe des morts, un traîneau emporta le corps du poète dans un couvent du gouvernement de Pskov, où se trouvaient ses terres. Lorsque la foule ainsi trompêe se porta à l'êglise où avait êtê dêposê le dêfunt, la neige avait dêjà effacê toute trace du convoi.
   Un sort terrible et sombre est rêservê chez nous à quiconque ose lever la tête au-dessus du niveau tracê par le sceptre impêrial; poète, citoyen, penseur, une fatalitê inexorable les pousse dans la tombe. L'histoire de notre littêrature est un martyrologe ou un registre des bagnes. Geux-mêmes que le gouvernement a êpargnês pêrissent, à peine êclos, se pressant de quitter la vie.
  
   Là sotto i giorni brevi e nebulosi
   Nasce uua gente a cui il morir non duo le.
  
   Rylêieff pendu par Nicolas.
   Pouchkine tuê dans un duel, à trente-huit ans.
   Griboïêdoff assassinê à Têhêran.
   Lermontoff tuê dans un duel, à 30 ans, au Caucase.
   Vênêvitinoff tuê par la sociêtê, à vingt-deux ans.
   Koltzoff tuê par sa famille, à trente-trois ans.
   Bêlinnski tuê, à trente-cinq ans, par la faim et la misère.
   Polêjaïeif mort dans un hôpital militaire, après avoir êtê forcê de servir comme soldat au Caucase pendant huit annêes.
   Baratynski mort après un exil de douze ans.
   Bestoujeff succombê au Caucase tout jeune encore, après les travaux forcês en Sibêrie...
  
   "Malheur, dit l'Ecriture, aux peuples qui lapident leurs prophètes!" Mais le peuple russe n'a rien à craindre, car il n'y a rien à ajouter à son malheureux sort.
  

V

LA LITTÉRATURE ET L'OPINION PUBLIQUE APRÈS LE 14 DÉCEMBRE 1825

  
   Les vingt-cinq annêes qui suivent le 14 (26) dêcembre sont plus difficiles à caractêriser que toute l'êpoque êcoulêe depuis Pierre Ier. Deux courants en sens inverse, l'un à la surlace, l'autre à une profondeur où on le distingue à peine, embrouillent l'observation. A l'apparence, la Russie restait immobile, elle paraissait même reculer; mais, au fond, tout prenait une face nouvelle, les questions devenaient plus compliquêes, les solutions moins simples.
   A la surface de la Russie officielle, "de l'empire des faèades", on ne voyait que des pertes, une rêaction fêroce, des persêcutions inhumaines, un redoublement de despotisme. On voyait Nicolas entourê de mêdiocritês, de soldats de parades, d'Allemands de la Baltique et de conservateurs sauvages, lui-même "mêfiant, froid, obstinê, sans pitiê, sans hauteur d'âme, mêdiocre comme son entourage. Immêdiatement au-dessous de lui se rangeait la .haute sociêtê qui, au premier coup de tonnerre qui êclata sur sa tête après le 14 dêcembre, avait perdu les notions à peine acquises d'honneur et de dignitê. L'aristocratie russe ne se releva plus sous le règne de Nicolas, sa fleuraison êtait passêe; tout ce qu'il y avait de noble et de gênêreux dans son sein êtait aux mines ou en Sibêrie. Ce qui restait ou se maintint dans les bonnes grâces du maître, tomba à ce degrê d'abjection ou de servilisme qu'on connaît par le tableau qu'en a tracê M. de Custine.
   Venaient ensuite les officiers de la garde; de brillants et civilisês ils devinrent de plus en plus des sergents encroûtês. Jusqu'à l'annêe 1825, tout ce qui portait l'habit civil reconnaissait la supêrioritê des êpaulettes. Pour être comme il faut, il fallait avoir servi une couple d'annêes à la garde, ou au moins dans la cavalerie. Les officiers êtaient l'âme des rêunions, les hêros des fêtes et des bals, et, pour dire la vêritê, cette prêdilection n'êtait pas dênuêe de fondement. Les militaires êtaient plus indêpendants et se tenaient sur un pied plus digne que les bureaucrates rampants et pusillanimes. Les choses prirent une autre face, la garde par- * tagea le sort de l'aristocratie; les meilleurs officiers êtaient exilês, un grand nombre d'autres abandonnèrent le service, ne pouvant supporter le ton grossier et impertinent introduit par Nicolas. On se hâtait de remplir les places vides par de bons troupiers ou des piliers de caserne et de manège. Les officiers tombèrent dans l'estime de la sociêtê, l'habit noir prit le dessus, et l'uniforme ne domina que dans les petites villes de province et à la "our, ce premier corps de garde de l'empire. Les membres de la famille impêriale, de même que son chef, marquent, pour les militaires, une prêfêrence outrêe et illicite dans leur position. La froideur du public pour l'uniforme n'allait cependant pas jusqu'à l'admission des employês civils dans la sociêtê. Même dans les provinces, on avait une rêpulsion invincible pour eux, ce qui n'empêcha pas du reste que l'influence des bureaucrates ne s'accrût. Toute l'administration devint, d'aristocratique et d'ignorante qu'elle êtait, rabuliste et mesquine, après 1825. Les ministères se changèrent en bureaux, leurs chefs et les fonctionnaires supêrieurs devinrent des hommes d'affaires ou des scribes. Ils êtaient par rapport au civil ce que les troupiers dêsespêrants êtaient à la garde. Connaisseurs consommês de toutes les formalitês, exêcuteurs froids et dêpourvus de raisonnement des ordres supêrieurs, ils êtaient dêvouês au gouvernement par amour de concussion. Il fallait à Nicolas de tels officiers et de tels administrateurs.
   La caserne et la chancellerie, êtaient devenues les pivots de la science politique de Nicolas. Une discipline aveugle et dênuêe de sens commun, accouplêe au formalisme inanimê des buralistes autrichiens, tels sont les ressorts de l'organisation cêlèbre du pouvoir fort en Russie. Quelle pauvretê de pensêe gouvernementale, quelle prose d'absolutisme et quelle pitoyable banalitê! C'est la forme la plus simple et la plus brutale du despotisme.
   Ajoutons à cela le cXe Bênkêndorf, chef du corps des gendarmes, formant une inquisition armêe,une maèonnerie policière qui avait ses frères êcouteurs et êcoutants dans tous les coins de l'empire, de Riga à Nertchinsk; prêsident de la 3e section de la chancellerie de Sa Majestê (telle est la dênomination du bureau central de l'espionnage), jugeant tout, cassant les dêcisions des tribunaux, se mêlant de tout et surtout des dêlits politiques. Devant ce bureau-tribunal se voyait traduite de temps à autre la civilisation, sous les traits de quelque littêrateur ou êtudiant, qu'on exilait ou enfermait dans la forteresse et qui êtait bientôt remplacê par un autre.
   En un mot, à la vue de la Russie officielle, on n'avait que le dêsespoir au cœur; d'un

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