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Герцен Александр Иванович - Du developpement des idêes rêvolutionnaires en Russie, Страница 6

Герцен Александр Иванович - Du developpement des idêes rêvolutionnaires en Russie


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et d'anatomie pathologique. Le rire sur les lèvres, il pênètre sans mênagement dans les replis les plus cachês de cette âme impure et maligne. La comêdie de Gogol le Rêviseur, son roman les Ames Mortes, sont une terrible confession de la Russie contemporaine et qui font pendant aux rêvêlations de Kochikhine au XVIIe siècle {Un diplomate russe du temps d'Alexis, père de Pierre I, qui avait êmigrê en Suède craignant les persêcutions du tzar et qui a êtê dêcapitê à Stockholm pour un assassinat.}.
   L'empereur Nicolas se pâmait de rire en assistant aux reprêsentations du Rêviseur!!!
   Le poète, dêsespêrê de n'avoir produit que cette auguste hilaritê et le rire suffisant des employês, parfaitement identiques avec ceux qu'il a reprêsentês, quoique plus protêgês par la censure, crut devoir expliquer, dans une introduction, que sa comêdie est non seulement très risible mais encore très triste,- "qu'il y a dês larmes chaudes derrière son sourire".
   Après le Rêviseur, Gogol se tourna vers la noblesse campagnarde, et mit au grand jour cette population inconnue qui se tient derrière les coulisses, loin des chemins et. des grandes villes, enfouie au fond des campagnes, cette Russie de gentillâtres, qui, sans bruit, tout au soin de leurs terres, couvent une corruption plus profonde que celle de l'Occident. Nous les vîmes, enfin, grâce à Gogol, quitter leurs manoirs, leurs maisons seigneuriales, et dêfiler devant nous sans masque, sans fard, toujours ivres et voraces, esclaves du pouvoir sans dignitê, et tyrans de leurs serfs sans compassion; suèant la vie et le sang du peuple avec le naturel et la naïvetê de l'enfant qui se nourrit du sein de sa mère.
   Les Ames Mortes secouèrent toute la Russie.
   Une pareille accusation êtait nêcessaire à la Russie contemporaine. C'est l'histoire de la maladie faite de main de maître. La poêsie de Gogol est un cri de terreur et de honte, que pousse un homme dêgradê par la vie banale, et qui voit tout à coup dans une glace ses traits abrutis. Mais pour qu'un cri pareil puisse s'êchapper d'une poitrine, il faut qu'il y ait des parties saines et une grande force de rêhabilitation. Celui qui avoue franchement ses faiblesses et ses dêfauts, sent qu'ils ne forment pas la substance de son être, qu'ils ne l'absorbent pas entièrement, qu'il y a encore en lui quelque chose qui êchappe et rêsiste à la chute; qu'il peut encore racheter le passê, et, non seulement relever la tête, mais devenir, comme dans la tragêdie de Byron, Sardanapal hêros de Sardanapal effêminê.
   Là, nous nous trouvons derechef face à face avec cette grande question: où sont les preuves que le peuple russe puisse se relever et quelles sont les preuves du contraire? Cette question, ainsi que nous l'avons vu, avait prêoccupê tous les hommes pensants, sans qu'aucun d'eux ait trouvê une solution.
   Polêvoï qui encourageait les autres, ne croyait en rien; se serait-il autrement laissê dêcourager si vite et aurait-il passê à l'ennemi, au premier revers? La Bibliothèque de lecture sauta à pieds joints par-dessus ce problème, tourna la question sans faire un effort pour la rêsoudre. La solution de Tchaadaïeff n'en est pas une.
   La poêsie, la prose, l'art et l'histoire nous montraient la formation et le dêveloppement de ce milieu absurde, de ces mœurs blessantes, de ce pouvoir monstrueux, mais personne ne faisait voir d'issue. Fallait-il donc s'acclimater, comme le fit plus tard Gogol, ou courir au-devant de sa perte comme Lermontoff? Il êtait impossible de nous acclimater; il nous rêpugnait de pêrir; quelque chose disait au fond de notre cœur qu'il êtait trop tôt de s'en aller, il semblait qu'il y avait encore des âmes vivantes derrière les âmes mortes.
   Et les questions reparaissaient avec plus d'intensitê, tout ce qui espêrait encore demandait une solution à tout prix.
   Après l'annêe 1840, deux opinions absorbèrent l'attention publique. De la controverse scolastique elles passèrent bientôt dans la littêrature, et de là, dans la sociêtê.
   Nous parlons du panslavisme moscovite et de l'europêisme russe.
   La lutte entre ces deux opinions est close par la rêvolution de 1848. Ce fut la dernière polêmique animêe qui eût occupê le public, et par cela même elle a une certaine gravitê. Nous lui consacrerons en consêquence le chapitre suivant.
  

VI

PANSLAVISME MOSCOVITE ET EUROPÉISME RUSSE

  
   Le temps de la rêaction contre la rêforme de Pierre Ier êtait venu, non seulement pour le gouvernement, qui reculait devant son propre principe et reniait la civilisation occidentale, au nom de laquelle Pierre Ier avait foulê aux pieds la nationalitê, mais encore pour les hommes que le gouvernement avait dêtachês du peuple, sous prêtexte de civilisation, et qu'il commenèa à pendre lorsqu'ils furent civilisês.
   Le retour aux idêes nationales conduisait naturellement à une question dont le simple ênoncê contenait dêjà la rêaction contre la pêriode de Pêtersbourg. Ne faut-il pas chercher une issue à la dêplorable situation dans laquelle nous nous voyons, en nous rapprochant du peuple que nous mêprisons sans le connaître? Ne fallait-il pas revenir à un ordre de choses plus conforme au caractère slave et quitter la voie de la civilisation exotique et forcêe? Question grave et d'un intêrêt actuel. Mais à peine fut-elle posêe, qu'il se trouva un groupe d'hommes, qui, donnant de suite une solution positive, formèrent un système exclusif dont ils firent, non seulement une doctrine, mais une religion. La logique de la rêaction est rapide comme celle des rêvolutions.
   La plus grande erreur des Slavophiles fut d'avoir vu une rêponse dans la question même, et d'avoir confondu la possibilitê avec la rêalitê. Ils pressentaient qu'ils êtaient sur le chemin qui mène à de grandes vêritês et qui doit changer notre manière d'envisager les êvênements contemporains. Mais, au lieu d'aller en avant et de travailler, ils s'en tenaient à ce pressentiment. De cette manière, en faussant les faits, ils ont faussê leur propre entendement. Leur jugement n'êtait plus libre, ils ne voyaient plus de difficultês, tout leur paraissait rêsolu, tranchê. Ils ne cherchaient pas la vêritê mais des objections à leurs antagonistes.
   Les passions se mêlèrent à la polêmique. Les Slavophiles exaltês se ruèrent avec acharnement sur toute la pêriode de Pê-tersbourg, sur tout ce qu'a fait Pierre le Grand, et enfin, sur tout ce qui êtait europêisê, civilisê. On peut comprendre et justifier cet entraînement comme un acte d'opposition, mais par malheur, cette opposition alla trop loin, et se vit alors, d'une manière êtrange, placêe du côtê du gouvernement contre ses propres aspirations à la libertê.
   Après avoir dêcidê a priori que tout ce qui êtait venu des Allemands ne valait rien, que tout ce qui avait êtê introduit par Pierre Ier êtait dêtestable, les Slavophiles revinrent à l'admiration des formes êtroites de l'Etat moscovite et, abdiquant leur propre raison et leurs propres lumières, ils coururent s'abriter avec ferveur sous la croix de l'êglise grecque. Nous autres ne pouvions leur concêder de pareilles tendances, d'autant plus que les Slavophiles s'abusaient êtrangement sur l'organisation de l'Etat moscovite et prêtaient à l'orthodoxie grecque une importance qu'elle n'a jamais eue. Remplis d'indignation contre le despotisme, ils arrivaient à un esclavage politique et moral; avec toutes les sympathies pour la nationalitê slave, ils sortaient, par une porte opposêe, de cette même nationalitê. L'orthodoxie grecque les entraînait vers le byzantisme, et, en effet, ils se dirigeaient rapidement vers cet abîme de stagnation dans lequel ont disparu les vestiges du monde ancien. Si les formes et l'esprit de l'Occident ne convenaient pas à la Russie, qu'y avait-il de commun entre elle et l'organisation du Bas-Empire? Où le lien organique entre les Slaves, barbares par jeunesse, et les Grecs, barbares par dêcrêpitude s'est-il manifestê? Et enfin qu'est-ce que cette Byzance si ce n'est Rome, la Rome de la dêcadence, Rome sans rêminiscences glorieuses, sans remords? Quels nouveaux principes Byzance a-t-elle apportês à l'histoire? Est-ce l'orthodoxie grecque? Mais elle n'est que le catholicisme apathique; les principes sont tellement les mêmes, qu'il a fallu sept siècles de controverses et de dissensions pour faire croire à des diffêrences de principes. Est-ce l'organisation sociale? Mais elle êtait basêe dans l'empire oriental sur l'autoritê absolue, sur l'obêissance passive, sur l'absorption complète de l'individu par l'Etat, de l'Etat par l'empereur.
   Est-ce-qu'un tel Etat pouvait communiquer une vie nouvelle à un peuple jeune? Les Slaves occidentaux du Midi ont êtê dans un contact prolongê avec les Grecs du Bas-Empire, qu'est-ce qu'ils y ont gagnê?
   On a dêjà oubliê ce qu'êtaient ces troupeaux d'hommes parquês par les empereurs grecs, sous la bênêdiction des patriarches de Gonstantinople. Il suffit de jeter un coup d'œil sur les lois de lèse-majestê, rêcemment si bien imitêes par l'empereur Nicolas et son jurisconsulte Hube, pour apprêcier cette casuistique de la servitude, cette philosophie de l'esclavage. Et ces lois ne concernaient que le temporel: venaient ensuite les lois canoniques qui rêglaient les mouvements, la forme des habits, la nourriture et le rire. On se figure ce que devenait l'homme pris dans le double filet de l'Etat et de l'êglise, continuellement tremblant et menacê, ici par le juge sans appel et le bourreau obêissant, là par le prêtre agissant au nom de Dieu et par les êpitkêmies qui liaient dans ce monde et dans l'autre.
   Où voit-on l'influence bienfaisante de l'êglise orientale? Quel est le peuple qu'elle ait civilisê ou êmancipê parmi tous ceux qui l'ont acceptêe, depuis le IVme siècle jusqu'à nos jours? Est-ce l'Armênie, la Gêorgie, sont-ce les peuplades de l'Asie Mineure, les pauvres habitants de Trêbisonde? Est-ce enfin la Morêe? On nous dira peut-être que l'êglise ne pouvait rien faire de ces peuples usês, corrompus, sans avenir. Mais les Slaves, race saine de corps et d'âme, y ont-ils gagnê quelque chose? L'êglise orientale s'introduisait en Russie à l'êpoque florissante et sereine de Kiev, sous le grand prince Vladimir. Elle l'a conduite au temps triste et abject dêcrit par Kochikhine, elle a bêni et sanctionnê toutes les mesures prises contre la libertê du peuple. Elle a enseignê aux tzars le despotisme byzantin, elle a prescrit au peuple une obêissance aveugle, même lorsqu'on l'attachait à la glèbe et qu'on le courbait au servage. Pierre le Grand paralysa l'influence du clergê; ce fut un de ses actes les plus importants; et l'on voudrait la ressusciter?
   Le slavisme qui n'attendait le salut de la Russie que de la rêhabilitation du rêgime byzantino-moscovite n'êmancipait pas, mais liait; n'avanèait pas, mais reculait. Les Europêens, ainsi que les appelaient les Slavophiles, ne voulaient pas êchanger un collier d'esclavage allemand contre un collier slavo-orthodoxe, ils voulaient se libêrer de tous les colliers possibles. Il ne s'efforèaient pas de rayer les temps qui s'êtaient êcoulês depuis Pierre Ier, les efforts d'un siècle si dur, si rempli de fatigues. Ce qu'on avait obtenu par tant de souffrances, par des torrents de sang, ils ne voulaient pas l'abdiquer pour revenir à un ordre de choses êtroit, à une nationalitê exclusive, à une êglise stationnaire. Les Slavophiles avaient beau dire comme les lêgitimistes, qu'on pouvait en prendre le bon côtê et laisser le mauvais. C'êtait une erreur fort grave, ils en commettaient une autre qui est commune à tous les rêactionnaires. Adorateurs du principe historique, ils oubliaient constamment que tout ce qui s'êtait passê depuis Pierre Ier êtait aussi de l'histoire, et qu'aucune force vivante, pour ne pas parler des revenants, ne pouvait effacer les faits accomplis, ni êliminer leurs suites.
   Tel est le point de vue duquel partit une vive polêmique contre les Slavophiles. A côtê d'elle, les autres intêrêts, qui se dêbattaient dans les journaux, descendirent au second rang. La question, en effet, êtait palpitante d'intêrêt.
   Sênkofski lanèa une nuêe de ses flèches les plus acerbes dans le camp des Slavophiles avec une adresse parfaite. Satisfait des êclats de rire qu'il provoqua contre ses victimes, il se retira avec orgueil. Il n'êtait pas fait pour une polêmique sêrieuse. Mais un autre journaliste releva la mitaine {Gants à un doigt (rouhavitza) que portent les paysans.} des Slaves jetêe à Moscou, et dêroula bravement le drapeau de la civilisation europêenne contre la lourde bannière, à l'image de la vierge byzantine, que portaient les Slavophiles.
   Ce lutteur, qui parut à la tête des Annales patriotiques, ne prêdisait pas de grands succès aux Slavophiles. C'êtait un homme de talent et d'ênergie, qui avait, lui aussi, des convictions fanatiques, un homme audacieux, intolêrant, irascible et nerveux: Bêlinnski.
   Son propre dêveloppement est très caractêristique pour le milieu dans lequel il a vêcu. Nê dans la famille d'un pauvre fonctionnaire d'une ville de province, il n'en emporta aucun souvenir consolant. Ses parents êtaient durs, incultes, comme tous les gens de cette classe dêpravêe. Bêlinnski avait dix ou onze ans, lorsque un jour son père, rentrant à la maison, se mit à le gronder. L'enfant voulut se justifier. Le père furieux le frappa, le renversa par terre. Le garèon se leva mêtamorphosê: l'offense, l'injustice avaient brisê en lui à la fois tous les liens de parentê. La pensêe de la vengeance l'occupa longtemps; mais le sentiment de sa propre faiblesse la changea en cette haine contre toute autoritê de famille qu'il conserva jusqu'à la mort.
   C'est ainsi qu'a commencê l'êducation de Bêlinnski. La famille l'êmancipa par les mauvais procêdês, la sociêtê par la misère. Jeune homme nerveux et maladif, peu prêparê pour les êtudes acadêmiques, il ne fit rien à l'Universitê de Moscou, et, comme il y fut êlevê aux frais de la couronne, on l'en exclut en disant: "Facultês faibles et point d'application". Avec cette note humiliante, le pauvre jeune homme entra dans la vie, c'est-à-dire, fut mis à la porte de l'Universitê au milieu d'une grande ville, sans un morceau de pain et sans les moyens d'en gagner. Il fit alors la rencontre de Stankêvitch et de ses amis qui le sauvèrent.
   Stankêvitch, mort jeune il y a une dizaine d'annêes en Italie, n'a rien fait de ce qu'on inscrit dans l'histoire, et pourtant il y aurait de l'ingratitude à le passer sous silence, lorsqu'on parle du dêveloppement intellectuel en Russie.
   Stankêvitch appartenait à ces natures larges et sympathiques dont l'existence seule exerce une grande action sur tout ce qui les entoure. Il a rêpandu, parmi la jeunesse de Moscou, l'amour de la philosophie allemande, introduite à l'Universitê de cette ville par un professeur distinguê, Pavloff. C'est Stankêvitch qui dirigea les êtudes d'un cercle d'amis, qui reconnut le premier les facultês spêculatives de notre ami Bakounine et qui le poussa à l'êtude de Hegel; c'est lui aussi qui rencontra Koltzoff dans le gouvernement de Voronèje, l'amena à Moscou et l'encouragea.
   Stankêvitch apprêcia à sa juste valeur l'esprit ardent et original de Bêlinnski. Bientôt la Russie entière rendit justice au talent audacieux du publiciste taxê d'incapacitê par le curateur de l'Universitê de Moscou.
   Bêlinnski se mit avec acharnement à l'êtude de Hegel. Son ignorance de la langue allemande, loin de former un obstacle, ne fit que faciliter ses êtudes: Bakounine et Stankêvitch se chargèrent de lui faire part de ce qu'ils savaient sur ce sujet et le firent avec tout l'entraînement de la jeunesse et toute la clartê de l'esprit russe. Il ne lui fallait au reste que des indices pour atteindre ses amis. Une fois maître du système de Hegel, il s'insurgea le premier entre ses adeptes moscovites, sinon contre Hegel lui-même, au moins contre la manière de l'entendre.
   Bêlinnski êtait complètement libre des influences que nous subissons lorsque nous ne savons pas nous en dêfendre. Sêduits par la nouveautê, nous acceptons dans notre première jeunesse une foule de choses de mêmoire, sans les vêrifier par l'entendement. Ces rêminiscences, que nous prenons pour des vêritês acquises, lient notre indêpendance. Bêlinnski commenèa ses êtudes par la philosophie, et cela à l'âge de vingt-cinq ans. Il aborda la science avec des questions sêrieuses et une dialectique passionnêe. Pour lui, les vêritês, les rêsultats n'êtaient ni des abstractions ni des jeux d'esprit, mais des questions de vie ou de mort; libre de toute influence êtrangère, il entra dans la science avec plus de sincêritê; il ne chercha à rien sauver du feu de l'analyse et de la nêgation, et tout naturellement, il se rêvolta contre les demi-solutions, les conclusions timides et les lâches concessions.
   Tout cela n'est plus nouveau, après le livre de Feuerbach et la propagande faite par le journal d'Arnold Ruge, mais il faut se rapporter au temps antêrieur à 1840. La philosophie hêgêlienne êtait alors sous le charme de ces tours de passe-passe dialectiques qui faisaient reparaître la religion dissoute et dêmolie par la Phênomênologie et la Logique, dans la Philosophie de la Religion. C'êtait le temps où l'on êtait encore enchantê que la langue philosophique eût atteint une telle perfection que les initiês voyaient l'athêisme là, où les profanes trouvaient la foi.
   Cette obscuritê prêmêditêe, cette retenue circonspecte, ne pouvaient manquer de provoquer une opposition acharnêe de la part d'un homme sincère. Bêlinnski, êtranger à la scolastique, libre de la pruderie protestante et des convenances prussiennes, êtait indignê de cette science pudique, qui mettait une feuille de vigne sur ses vêritês.
   Un jour après avoir combattu pendant des heures entières le panthêisme timorê des Berlinois, Bêlinnski se leva en disant de sa voix palpitante et convulsive: "Vous voulez me faire accroire que le but de l'homme soit d'amener l'esprit absolu à la conscience de lui-même, et vous vous contentez de ce rôle; quant à moi, je ne suis pas assez imbêcile pour servir d'organe involontaire à qui que ce soit. Si je pense, si je souffre, c'est pour moi-même. Votre esprit absolu, s'il existe, est pour moi un êtranger. Je n'ai pas à le connaître, car je n'ai avec lui rien de commun".
   Nous, ne citons ces paroles que pour montrer encore une l'ois la tournure de l'esprit russe. Dès qu'on avait commencê à prêcher l'absurditê du dualisme, le premier homme de talent en Russie qui s'occupât de la philosophie allemande s'aperèut qu'elle n'êtait rêaliste que sur parole, qu'elle restait au fond une religion terrestre, une religion sans ciel, un couvent logique où on fuyait le monde pour se plonger dans les abstractions.
   L'activitê publique de Bêlinnski ne date que de 1841. Il s'empara alors de la- direction des Annales patriotiques de Pêters-bourget domina le journalisme pendantsix annêes. Il tomba,comme un guerrier, avec le journalisme russe. Il est mort en 1848, extênuê de fatigue, abreuvê de dêgoûts et en proie à la plus grande misère.
   Bêlinnski a beaucoup fait pour la propagande. Toute la jeunesse studieuse se nourrissait de ses articles: il forma le goût esthêtique du public, il donna de la vigueur à la pensêe. Sa critique pênêtrait plus avant que celle de Polêvoï, soulevant d'autres questions et d'autres doutes. On l'a peu apprêciê; il y avait, lui vivant, trop d'amour-propres blessês, trop de vanitês froissêes; après sa mort, le gouvernement dêfendit d'êcrire à son sujet, et c'est ce qui m'a dêterminê à m'êtendre sur lui plus que sur un autre.
   Son style êtait souvent anguleux, mais toujours plein d'ênergie. Il communiquait sa pensêe, comme il la concevait, avec passion. On sent dans chaque mot que cet homme êcrit avec son sang, on sent combien il dêpense et comme il se consume, maladif, irascible, il ne connaissait de limites ni à l'amour ni à la haine. Il êtait souvent entraînê, parfois même très injuste, mais il resta toujours saintement sincère.
   Une collision entre Bêlinnski et les Slavophiles êtait inêvitable.
   Nous l'avons dit, c'êtait un des hommes les plus libres, n'êtant liê ni par les croyances ni par les traditions; ne dêpendant pas de l'opinion publique et -n'acceptant aucune autoritê; ne craignant ni la colère des amis, ni l'êpouvante des belles âmes. Il êtait toujours, en sentinelle de la critique, prêt à dênoncer, à flêtrir tout ce qu'il croyait rêactionnaire. Gomment pouvait-il donc laisser en paix les Slavophiles orthodoxes et ultrapatriotes, lui qui voyait de lourdes chaînes dans tout ce que les Slavophiles prenaient pour les liens les plus sacrês?
   Parmi les Slavophiles il y eut des hommes de talent, des êru-dits, mais pas un seul publiciste; leur revue (Le Moscovite) n'avait guère de succès. Les hommes de talent de ce parti n'êcrivaient presque pas, les hommes incapables êcrivaient toujours.
   Les Slavophiles avaient sur les Europêens un grand avantage, mais les avantages de ce genre sont pernicieux, ils dêfendaient l'orthodoxie et la nationalitê, tandis que des Europêens attaquaient l'une et l'autre; ils pouvaient donc dire presque tout, sauf à recevoir une dêcoration, une pension, une place de prêcepteur à la cour ou de gentilhomme de la chambre. Bêlinnski, au contraire, ne pouvait rien dire; un mot trop transparent, une parole imprudente pouvaient le mener dans une casemate, compromettre le journal, le rêdacteur et le censeur. Mais ce fut là même une raison pour laquelle toutes les sympathies furent acquises à l'êcrivain têmêraire qui, en face de la forteresse de Pierre et Paul, dêfendait l'indêpendance, et les antipathies furent pour ses adversaires qui montraient le poing abritês par le Kremlin et la cathêdrale de l'Assomption, si bien protêgês par les "Allemands" de Pêters-bourg. Tout ce que Bêlinnski et ses amis ne disaient pas, on le devinait, on le supplêait. Tout ce que disaient les Slaves paraissait ou peu dêlicat ou peu gênêreux.
   Hâtons-nous d'ajouter que les Slavophiles n'ont cependant jamais êtê les partisans du gouvernement. Il y a certainement, à Pêtersbourg, des panslavistes impêriaux et, à Moscou, des Slavophiles ralliês, comme il y a des patriotes russes parmi les Allemands de la Baltique et des Circassiens pacifiês au Caucase, mais on ne parle pas de telles gens. Ce sont des amateurs de la servitude qui prennent l'absolutisme pour la seule forme civilisêe d'un gouvernement, qui prêchent la supêrioritê des vins du Don sur les vins de la Gôte-d'Or et le russicisme aux Slaves occidentaux, en remplissant leur âme de cette noble haine des Allemands et des Magyars qui a si bien servi les Windischgraetz et les Haynau. Le gouvernement, sans reconnaître leur doctrine officiellement, paie leurs frais de voyage et envoie à leurs amis tchekhs et croates les croix holsteinoises de Ste-Anne, prêparant pour eux ces embrassements fraternels dans lesquels il a êtouffê la Pologne.
   Quant aux vêritables Slavophiles, leur bon rapport avec le gouvernement êtait plutôt un malheur qu'un fait dêsirê. Mais telles sont les consêquences de toute doctrine basêe sur l'autoritê. Elle peut être rêvolutionnaire dans un sens, mais elle est nêcessairement conservatrice dans un autre et se trouve par consêquent dans la triste alternative de s'allier à son ennemi ou d'abandonner son principe. Une connivence avec son ennemi suffit pour rêveiller la conscience.
   Bêlinnski et ses amis n'ont opposê aux Slaves ni une doctrine ni un système exclusif, mais une vive sympathie pour tout ce qui agitait l'homme contemporain; un amour sans bornes pour la libertê de penser et une haine tout aussi forte contre tout ce qui l'entrave: l'autoritê, la force ou la foi. Ils envisageaient la question russe et la question europêenne d'une manière tout à fait opposêe aux Slavophiles.
   Il leur sembla qu'une des causes les plus graves de l'esclavage où se trouvait la Russie êtait le manque de l'indêpendance personnelle; de là l'absence complète du respect de l'individu, du côtê du gouvernement, et d'opposition, du côtê des personnes; de là le cynisme du pouvoir et la longanimitê du peuple. L'avenir de la Russie sera d'un grand danger pour l'Europe et plein de malheurs pour elle-même, s'il n'entre des ferments êmanci-pateurs dans le droit personnel. Un siècle encore du despotisme actuel, et toutes les bonnes qualitês du peuple russe seront anêanties.
   Par bonheur, la Russie avait une position extraordinaire, par rapport à cette grave question de l'individualitê.
   Pour l'homme de l'Occident, un des plus grands malheurs qui maintiennent l'esclavage, le paupêrisme des masses et l'impuissance des rêvolutions, c'est l'asservissement moral; ce n'est pas un manque de sentiment de l'individualitê, mais le manque de clartê dans ce sentiment, faussê qu'il est par les antêcêdents historiques qui limitent l'indêpendance individuelle. Les peuples dê l'Europe ont donnê tant d'âme et tant de sang pour les rêvolutions passêes, qu'elles sont toujours prêsentes, et que l'individu ne peut faire un pas sans heurter des souvenirs, des fueros plus ou moins obligatoires et reconnus par lui-même: toutes les questions ont dêjà êtê rêsolues à demi; les mobiles, les relations des hommes entre eux, les devoirs, les moralitês et les crimes, tout est dêterminê, et cela, non par une force majeure, mais en partie par l'assentiment des hommes. Il s'ensuit que l'individu, au lieu de conserver sa libertê d'action, n'a qu'à se soumettre ou qu'à s'insurger. Ces normes sans appel, ces notions toutes faites traversent l'Ocêan et s'introduisent dans le pacte fondamental d'une rêpublique toute nouvelle; elles survivent au roi guillotinê et se placent tranquillement sur les bancs des Jacobins et à la Convention. On a longtemps pris cette masse de demi-vêritês et de demi-prêjugês pour des fondements solides et absolus de la vie sociale, pour des rêsultats immuables et supêrieurs au doute. En effet, chacun d'eux a êtê un vêritable progrès, une victoire pour son temps, mais de leur ensemble s'êlevèrent peu à peu les murs d'une nouvelle prison. Les hommes pensants s'en aperèurent, au commencement de notre siècle, mais ils virent en même temps toute l'êpaisseur de ces murs et tout ce qu'il fallait d'efforts, pour les êbrêcher.
   La Russie est dans une tout autre position. Les murs de sa prison sont en bois; êlevês par la force brutale, ils cêderont au premier choc. Une partie du peuple, reniant tout son passê avec Pierre Ier, a montrê quelle puissance de nêgation elle possède; l'autre, restêe êtrangère à l'êtat actuel, a flêchi, mais n'a pas acceptê le rêgime nouveau qui paraît être un bivouac temporaire. On obêit, parce qu'on craint, mais on ne croit pas.
   Il êtait êvident que, ni l'Europe occidentale, ni la Russie actuelle ne pouvaient aller plus loin dans leurs voies sans rejeter complètement leurs manières d'être politique et morale. Mais l'Europe, comme Nicodème, êtait trop riche pour sacrifier son grand avoir pour une espêrance; les pêcheurs de l'Evangile n'avaient rien à regretter, il leur êtait facile de changer leurs filets contre une besace. Ce qu'ils avaient c'êtait une âme vivante pouvant comprendre le Verbe.
   Ce rapport à son passê et à celui de l'Europe dans lequel la Russie êtait placêe, tout êtait nouveau, et paraissait très favorable au dêveloppement de l'indêpendance personnelle. Au lieu d'en profiter, on vit paraître une doctrine qui dêpouillait la Russie du seul avantage que son histoire lui avait lêguê. Haïssant, comme nous, le prêsent de la Russie, les Slavophiles voulaient emprunter au passê des liens dans le genre de ceux qui brident la marche de l'Europêen. Ils confondaient l'idêe de l'individualitê libre avec celle de l'êgoïsme rêtrêci; ils la prenaient pour une idêe europêenne, occidentale, et, pour nous confondre avec les adorateurs aveugles de la lumière de l'Occident, ils nous prêsentaient continuellement le tableau terrible de la dissolution europêenne, du marasme des peuples, de l'impuissance des rêvolutions, de l'approche d'une crise sombre et fatale. Tout cela êtait vrai, seulement ils avaient oubliê de nommer ceux dont ils avaient appris toutes ces vêritês.
   L'Europe n'avait attendu ni la poêsie de M. Khomiakoff, ni la prose des rêdacteurs du Moscovite pour comprendre qu'elle êtait à la veille d'un cataclysme, d'une palingênêsie ou d'une dissolution complète. La conscience du dêpêrissement de la sociêtê actuelle, c'est le socialisme, et certes, ni Saint-Simon, ni Fourier, ni ce Samson moderne qui du fond de sa prison {Proudhon êtait alors à Ste-Pêlagie.} fait trembler l'êdifice europêen, n'ont puisê leurs sentences foudroyantes contre l'Europe dans les êcrits de Schaffarick, de Kolar ou de Mickiewicz. Le saint-simonisme a êtê connu en Russie une dizaine d'annêes avant qu'il ait êtê question des Slavophiles.
   Il n'est pas facile à l'Europe, disions-nous aux Slavophiles, de se dêfaire de son passê; elle le conserve contrairement à ses intêrêts, parce qu'elle sait à quel prix on achète les rêvolutions, et parce qu'il y a beaucoup de choses, dans son êtat actuel, qui lui sont chères et qui sont difficiles à remplacer. Il est facile de faire la critique de la rêformation et de la rêvolution en lisant leur histoire, mais l'Europe les a dictêes et les a êcrites avec son propre sang. Elle s'est êlevêe dans ces grandes luttes par ses protestations, au nom de la libertê delà pensêe et des droits de l'homme, à cette hauteur de conviction qu'elle ne sait peut-être pas rêaliser. Nous autres, nous sommes plus libres du passê, c'est un grand avantage, mais il oblige à plus de modestie. C'est une vertu par trop nêgative pour être mêritoire, et il n'y a que l'ultraroman-tisme pour êlever l'absence des vices au rang des bonnes actions. Nous sommes libres du passê, parce que notre passê est vide, pauvre, êtroit. Il est impossible d'aimer des choses telles que le tzarisme moscovite ou l'impêrialisme pêtersbourgeois. On peut les expliquer, on peut trouver, au milieu d'eux, les germes d'un autre avenir, mais il faut avoir la tendance de leur êchapper comme à des langes. Reprochant à l'Europe de ne pas savoir dêpasser ses institutions, les Slavophiles non seulement ne disaient pas comment ils entendaient rêsoudre la grande antinomie de la libertê individuelle et de l'Etat, mais ils êvitaient même d'entrer dans les dêtails de cette organisation politique slave, dont ils parlaient sans cesse. Sous ce rapport, ils se renfermaient dans la pêriode de Kiev et s'en tenaient à la commune rurale. La pêriode de Kiev n'a pas empêchê celle de Moscou, ni la perte de toutes les libertês. La commune n'a pas sauvê le paysan du servage; loin de nier l'importance de la commune, nous tremblons pour elle, car, au fond, il n'y a rien de stable sans la libertê individuelle. L'Europe ne connaissant pas cette commune, ou l'ayant perdue dans les vicissitudes des siècles passês, l'a comprise, et la Russie, qui la possède depuis mille ans, ne la comprenait pas, tant que l'Europe n'êtait pas venue lui dire, quel trêsor elle recelait dans son sein. On a commencê à apprêcier la commune slave lorsque le socialisme a commencê à se rêpandre. Nous dêfions les Slavophiles de nous prouver le contraire.
   L'Europe n'a pas rêsolu l'antinomie entre l'individu et l'Etat, mais au moins elle en a posê la question. La Russie s'approche du problème d'un côtê opposê, mais elle non plus ne l'a pas rêsolu. C'est en prêsence de cette question que commence notre êgalitê. Nous avons plus d'espêrances, car nous ne faisons que commencer, mais une espêrance n'est une espêrance, que parce qu'elle peut ne pas se rêaliser.
   Il ne faut pas trop seîier à l'avenir, ni dans 1 histoire, ni dans la nature. Chaque fœtus n'atteint pas l'âge adulte, tout ce qui se meut dans l'âme ne se rêalise pas, quoique tout aurait pu se dêvelopper dans d'autres circonstances.
   Peut-on s'imaginer que les facultês, qu'on trouve dans le peuple russe puissent se dêvelopper par la servitude, par l'obêissance passive, par le despotisme pêtersbourgeois? Une longue servitude n'est pas un fait accidentel, elle correspond naturellement à quelque êlêment du*caractère national. Cet êlêment peut être absorbê, vaincu par les autres, mais il peut vaincre aussi. Si la Russie peut s'accommoder avec l'ordre des choses existant, elle n'aura pas l'avenir que nous espêrons. Si elle continuê la route de Pêtersbourg, ou si elle retourne à la tradition de Moscou, elle n'aura d'autre vocation que de se ruer sur l'Europe comme une horde demi-barbare et demi-corrompue, de dêvaster les pays civilisês et de pêrir au milieu de la destruction gênêrale.
   Ne fallait-il donc pas chercher par tous les moyens à rappeler le peuple russe à la conscience de sa funeste position, ne fût-ce qu'en forme d'essai, pour se convaincre de l'impossibilitê? Et qui donc devait le faire si ce n'est ceux qui reprêsentaient l'intelligence du pays, ces organes du peuple par lesquels il cherchait à comprendre sa propre position? Que leur nombre soit grand ou petit, cela ne change rien. Pierre Ier êtait seul, les Dêcem-bristes une poignêe d'hommes. L'influence des individus n'est pas aussi minime qu'on est tentê de le croire, l'individu est une force vive, un ferment puissant dont l'action n'est même pas toujours paralysêe par la mort. Que de fois ne voit-on pas un mot, dit à propos, faire pencher la balance des peuples, dêterminer ou clore des rêvolutions?
   Au lieu de cela, que faisaient les Slavophiles? Ils prêchaient la soumission, cette première vertu de l'êglise grecque, cette base du tzarisme moscovite. Ils prêchaient le dêdain de l'Occident qui seul pouvait encore êclairer l'abîme de la vie russe; ils prônaient enfin le passê, dont il fallait se dêfaire, au contraire, pour un avenir dêsormais commun à l'Orient et à l'Occident.
   Il est êvident qu'il fallait s'opposer à une pareille direction des esprits, la polêmique se dêveloppa en effet de plus en plus. Elle dura jusqu'à l'annêe 1848 et atteignit son point culminant vers la fin de 1847, comme si l'on pressentait que, dans quelques mois, on ne pourrait discuter sur rien, en Russie, et que cette lutte devait pâlir devant la gravitê des êvênements.
   Deux articles surtout exprimèrent les deux opinions contradictoires. L'un, sous le titre de "Dêveloppement juridique de la Russie", fut publiê dans le Contemporain, à Pêtersbourg. L'autre fut une longue rêponse d'un Slavophile insêrêe dans le Moscovite. Le premier article êtait un exposê clair et ênergique basê sur une êtude approfondie du droit russe; il dêveloppait la pensêe que le droit personnel en Russie n'avait jamais atteint une dêtermination juridique, que l'individu avait êtê toujours absorbê par la famille, par la commune, et plus tard, par l'Etat et par l'êglise. La position indêfinie de la personne menait, suivant l'auteur, au même vague dans les autres sphères de la vie politique. L'Etat profitait de ce manque de dêtermination pour empiêter sur les libertês, de sorte que l'histoire russe fut l'histoire du dêveloppement de l'autocratie et de l'autoritê, comme l'histoire de l'Occident est l'histoire du dêveloppement de la libertê et des droits.
   Le danger du slavisme devient êvident dans la rêplique du Moscovite qui a puisê ses arguments dans les chroniques slaves, le catêchisme grec et le formalisme hêgêlien. L'auteur slavophile croit que le principe personnel êtait bien dêveloppê dans l'ancienne Russie, mais que la personne, êclairêe par l'êglise grecque, possêdait le don sublime de la rêsignation et transportait volontairement sa libertê sur la personne du prince. Le prince exprime la compassion, la bienveillance et l'individualitê libre. Chacun abdiquait son autonomie personnelle et la sauvait en même temps dans le reprêsentant du principe individuel, le souverain.
   Ce don d'abnêgation et le don encore plus grand de ne pas en abuser formaient, selon l'auteur, un accord harmonieux entre le prince, la commune et l'individu; accord admirable qui ne trouve d'autre explication chez l'auteur que la prêsence extraordinaire du St. Esprit dans l'êglise byzantine.
   Si les Slavophiles veulent reprêsenter une opinion sêrieuse, un côtê rêel de la conscience publique, une force enfin qui tend à se rêaliser dans la vie russe, s'ils veulent quelque chose de plus que des disputes archêologiques et des controverses thêologiques, nous avons le droit d'exiger d'eux l'abandon de cet abus immoral de mots, de cette dialectique dêpravêe. Nous disons "abus immoral" parce qu'il se commet avec une parfaite connaissance de cause.
   Que signifient ces solutions mêtaphoriques qui ne reprêsentent que l'inverse de la question même? Pourquoi ces images, ces symboles, au lieu des choses? Est-ce que les Slavophiles ont êtudiê les annales du Bas-Empire pour s'inoculer cette lèpre byzantine? Nous ne. sommes pas des Grecs du temps des Palêologue pour disputer de l'opus operans et le l'opus operatum, dans un temps où un avenir inconnu et immense frappe à notre porte.
   Leur mêthode philosophique n'est pas nouvelle, le côtê droit des hêgêliens parlait de la même manière, il y a une quinzaine d'annêes; il n'y a pas d'absurditê qu'on ne puisse faire entrer dans le moule d'une dialectique vide, en lui donnant un aspect profondêment mêtaphysique. Il faut seulement ne pas savoir ou oublier que le contenu et la mêthode ont un autre rapport que le plomb et le moule aux balles, et que le dualisme seul ne comprend pas la solidaritê qui les lie. L'auteur en parlant du prince n'a fait que paraphraser la dêfinition très* connue que Hegel donne de l'esclavage, dans la Phênomênologie (Herr und Knecht). Mais il a oubliê avec prêmêditation comment Hegel sort de ce degrê infêrieur de la conscience humaine. Il est à remarquer que ce jargon philosophique qui appartient par la forme à la science et par le contenu à la scolastique, se retrouve chez les jêsuites. M. Montalembert, en rêpondant à une interpellation sur les cruautês commises par le gouvernement papal dans les prisons de Rome, a dit: "Vous parlez des cruautês du pape, mais il ne peut pas être cruel, sa position le lui dêfend, lui, le vicaire de Jêsus Christ ne peut que pardonner, qu'être misêricordieux, et effectivement les papes pardonnent toujours. Le St. Père peut être attristê, il peut prier pour le coupable, mais il ne peut être implacable, etc.".- A la demande si l'on applique la torture à Rome, l'on rêpond que le pape est clêment; au raisonnement que nous sommes tous esclaves, que le droit personnel n'est pas dêveloppê en Russie, l'on rêpond: "Nous l'avons sauvê en le plaèant sur la tête du prince". Dêrision qui provoque le mêpris de la parole humaine! S'appuyer sur la religion n'est guère convenable, mais s'appuyer sur une religion obligatoire l'est encore moins. Chaque auteur a le droit incontestable de croire ce que bon lui semble; mais avoir recours aux preuves thêologiques dans une discussion scientifique avec un homme qui tait sa religion, c'est manquer de convenances. Pourquoi s'abriter derrière un fort inexpugnable, contre lequel la. moindre attaque mène au cachot?
   D'ailleurs, il est impossible de comprendre comment les Sla-vophiles, si leur religion leur est vraiment chère, n'ont pas de dêgoût pour la mêthode hypocrite de la Philosophie de la religion, cette rêhabilitation faible et sans foi, ce plaidoyer froid et pâle, où la science orgueilleuse, après avoir mis au tombeau sa sœur, lui jette un sourire de condolêance? Gomment ont-ils le courage de traîner ce qu'ils ont de plus sacrê, dans des disputes, où l'on ne l'estime pas et où l'on ne le tolère que par respect pour la police!
   Ce n'est pas tout; l'auteur de l'article s'e:; prend à ses adversaires d'une manière êtrange pour leur manque de patriotisme, pour leur peu d'amour de la nation; comme c'est un trait gênêral parmi les Slavophiles, il faut en dire quelques mots. Ils prêtendent au monopole du patriotisme, ils se croient plus russes que quiconque; ils ^îous reprochent continuellement notre indignation contre l'êtat actuel de la Russie, notre peu d'affection pour le peuple, nos paroles amères et pleines de colère, notre fran

Категория: Книги | Добавил: Anul_Karapetyan (24.11.2012)
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