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Тургенев Иван Сергеевич - Письма (1831-1849), Страница 14

Тургенев Иван Сергеевич - Письма (1831-1849)



oire... je ne sais pas trop pourquoi je vous en parle.- Aujourd'hui je me sens tout dispos et de bonne humeur; je suis heureux de pouvoir jaser a mon aise et je vais m'en donner jusqu'au bout de la quatrieme page.
   Madame votre mere (qui se porte tres bien ainsi que nous tous) m'a montre votre derniere lettre de Hambourg.- Ah Madame, Madame - ne vous fiez pas a une belle journee de decembre; c'est bien traitre - et il a fait humide "le long" de la riviere1.- J'espere que votre mal de gorge le sera dissipe bien vite et que "Les Huguenots"2 ont eu le meme succes que "Le Barbier". Du reste je ne crois pas que vous vous amusiez beaucoup a Hambourg.- On n'y voit que des "marchants".- Toujours parlant - de chemins de fer, actions, emprunts et autres choses fort productives et fort stupides.- Je suis sur qu'au fond de votre ame vous devez ressentir un secret depit de devoir amuser de pareilles gens - car vous ne faites que les amuser! - Ils ne sont pas capables de sentir autre chose en vous ecoutant: ils reservent tout leur serieux pour la hausse et la baisse3. Cependant ils vous aplaudissent, ils crient, ils battent des mains... ils font leur devoir - et on ne les en remercie pas. Les articles de journaux ont ete traduits et remis a qui de droit. - A propos, envoyez moi donc des "paroles" - (vous savez comme pour "La Chevriere") je vous assure que je m'y mettrai de bon coeur, de muy buena gana; si je n'ai pas fait le pendant de "La Chevriere" jusqu'a present, c'est qu'il m'avait semble que vous n'y pensiez plus pour le moment... Mais je ne m'en tiens pas quitte...4 Ce que vous nous dites de l'effet qu'a produit sur vous le "Joseph" de Mehul - me fait bien vivement regretter qu'on ne puisse l'entendre ici; dans ce grand diable de Paris on ne donne que de grands diables d'operas comme "Jerusalem"...5 Au moment ou je vous ecris ces lignes - une bande de musiciens ambulants se met a chanter dans ma cour le "Mourir pour la patrie" de Gossec...6 Dieu! que c'est beau... j'en ai les larmes aux yeux... Ah ca-mais decidement les vieux musiciens valaient mieux que ceux d'a present? Quelle energie serieuse, quelle conviction, quelle simplicite grandiose.. Chante en 93 par des centaines de voix, cet hymne a du faire battre bien des coeurs. En general, depuis quelque temps, je me detourne de plus en plus du temps present; - il est vrai qu'il offre peu d'attraits; je me jette a corps perdu dans le passe. Je lis maintenant Calderon avec acharnement (en espagnol comme de raison); c'est le plus grand poete dramatique catholique qu'il y ait eu - comme Shakespeare - le plus humain, le plus antichretien... Sa "Devocion de la Cruz" est un chef-d'oeuvre7. Cette foi immuable, triomphante, sans l'ombre d'un doute ou meme d'une reflexion - vous ecrase a force de grandeur et de majeste, malgre tout ce que cette doctrine a de repulsif et d'atroce. Ce neant de tout ce qui constitue la dignite de l'homme devant la volonte divine, l'indifference profonde pour tout ce que nous appelons vertu ou vice avec laquelle la Grace se repand sur son elu - est encore un triomphe pour l'esprit humain, car l'etre qui proclame ainsi avec tant d'audace son propre neant, s'eleve par cela meme a l'egal de cette Divinite fantastique, dont il se reconnait etre le jouet. Et cette Divinite - c'est encore l'oeuvre de ses mains. Cependant, je prefere Promethee - je prefere Satan, le type de la revolte de l'individualite. Tout atome que je suis - c'est moi qui suis mon maitre; je veux la verite et non le salut; je l'attends de mon intelligence et non de la Grace.
   N. B. Excusez toutes ces fio-ratures8.
   Malgre tout Calderon est un genie bien extraordinaire et vigoureux surtout... Nous autres, faibles descendants de puissants ancetres - nous arrivons tout au plus a etre gracieux dans notre faiblesse... Je pense au "Caprice" de Musset (qui continue a faire fureur ici)...9 Mais je pense aussi en meme temps que je continue a ne pas avoir des nouvelles a vous donner; et cependant il s'est passe des choses assez interessantes: Mr Michelet a ouvert son coursl0; Mlle Alboni a chante hier "La Cenerentola"11 (je l'entendrai aujourd'hui, dimanche), on parle beaucoup d'une nouvelle fille electrique ou magnetique qui fait, pendant son sommeil, en ecoutant de la musique - des gestes qui y ont rapport (a la musique) etc.
   Mais que voulez-vous? Je tourne a l'ours; je ne sors presque pas de ma chambre - je travaille avec une ardeur incroyable... J'espere que ce ne sera pas du temps perdu.- Cependant j'ai l'intention de me secouer un peu et de courir Paris. Il faut cependant en avoir une idee.- J'ai recu des lettres de mes editeurs, qui me font toutes sortes de beaux compliments sur mon activite12: en meme temps ils m'ont envoye le dernier n® de notre Revue ou j'ai trouve une admirable nouvelle d'un Mr Grigorovitchl3; personnage que je connais fort et qui m'a toujours semble un etre parfaitement nul et vide. Calderon aurait-il raison? Le talent - qui est aussi une espece de grace - se logerait-il dans la premiere tete venue? Garderait-il rancune a l'esprit pour les usurpations de c'e dernier? Il est vrai que dans ces derniers temps - il s'est bien des fois fait passer pour du talent! - Mais les vrais elus sont ceux qui ont l'un et l'autre. - N'est-ce pas, Madame? Vous devez en savoir quelque chose.
   J'ecrirai demain une lettre a votre mari, que je vous prie de saluer bien amicalement de ma part. Je n'ai pas encore rempli la commission de Louise - et pour cause ce qui ne m'empeche pas de l'embrasser sur les deux joues. Pour vous, Madame, - vous connaissez mon refrain ordinaire... Je vous souhaite tout ce qu il y a de bon, de beau, de grand et de noble dans ce monde... du reste - c'est vous souhaiter - ce que vous possedez deja. Soignez-vous bien, soyez heureuse, gaie et contente, vous et tous les votres. Vous ne restez pas a Hambourg plus de 4 a 5 jours - n'est-ce pas? Ma prochaine lettre vous y trouvera peut-etre encore? Que Dios bendiga a Vd.- Leben Sie recht, recht wohll Будьте здоровы и помните нас.

Votre

J. Tourgueneff.

  

82. ПОЛИНЕ ВИАРДО

13 (25) декабря 1847. Париж

  

Paris,

се 25 decembre 47.

   Nous etions tous, je vous l'avouerais, Madame, un peu inquiets de ne pas recevoir de vos nouvelles (il est vrai que vous nous aviez gates), quand votre lettre du 21, avec tous ses charmants details, nous a combles de joie. J'ai fait l'office de lecteur, comme de coutume, et je puis vous assurer que jamais mes yeux ne se portent mieux que quand ils ont a dechiffrer vos lettres, d'autant plus que vous ecrivez parfaitement bien pour une celebrite. Du reste, votre ecriture varie a l'infini; quelquefois elle est jolie, fine, perlee - une vraie petite souris qui trotille {Так в подлиннике.}; d'autres fois, elle marche hardiment, lestement, a grandes enjambees; souvent il luij arrive de s'elancer avec une rapidite, une impatience extremes, et alors, ma foi, les lettres deviennent ce qu'elles peuvent. Vous faites tres bien de nous decrire vos costumes; nous autres realistes, nous tenons au coloris. Et puis... et puis, tout ce que vous faites est bien fait. Vos succes a Hambourg nous causent une joie infinie; bravo, bravo!1 N'est-ce pas que nous sommes bien bons de vous encourager?
   Je vous remercie de tout mon coeur pour les bons et affectueux conseils que vous me donnez dans votre lettre a Mme Garcia. Ce que vous dites de la "quebradura" qu'on remarque toujours dans une oeuvre interrompue est bien vrai... "das sind goldene Worte". Aussi, depuis que je suis a Paris, je n'ai jamais travaille qu'a une chose a la fois et j'en ai conduit plusieurs a bon port, je l'espere du moins. Il ne s'est pas passe de semaine que je n'aie envoye un grosi paquet a mes editeurs2.
   Depuis la derniere lettre que je vous ai ecrite, j'ai encore lu un drame de Calderon, "La Vida es sueno". C'est une des conceptions dramatiques les plus grandioses que je connaisse. Il y regne une energie sauvage, un dedain sombre et profond de la vie, une hardiesse de pensee etonnante, a cote du fatalisme catholique le plus inflexible. Le Sigismond de Calderon (le personnage principal), c'est le Hamlet espagnol, avec toute la difference qu'il y a entre le Midi et le Nord. Hamlet est plus reflechi, plus subtil, plus philosophique; le caractere de Sigismond est simple, nu et penetrant comme une epee; l'un n'agit pas a force d'irresolution, de doute et de reflexions; l'autre agit - car son sang meridional le pousse - mais tout en agissant, il sait bien que la vie n'est qu'un songe3. Je viens de commencer maintenant le "Faust" espagnol, "El Magico prodigioso"4: je suis tout encalderonise. En lisant ces belles productions, on sent qu'elles ont pousse naturellement sur un sol fertile et vigoureux; leur gout, leur parfum est sain et simple; le graillon litteraire ne s'y fait pas sentir. Le drame en Espagne a ete la derniere et la plus belle expression du catholicisme naif et de la societe qu'il avait formee a son image5. Tandis que dans le temps de crise et de transition ou nous vivons, toutes les oeuvres artistiques ou litteraires ne representent tout au plus que les opinions, les sentiments individuels, les reflexions confuses et contradictoires, l'eclectisme de leurs auteurs; la vie s'est eparpillee; il n'y a plus de grand mouvement general, excepte peut-etre celui de l'industrie, qui, consideree sous le point de vue de la soumission progressive des elements de la nature au genie de l'homme, deviendra peut-etre la liberatrice, la regeneratrice du genre humain. Aussi, a mon avis, les plus grands poetes contemporains sont les Americains qui vont percer l'isthme de Panama et parlent d'etablir un telegraphe eleclrique a travers l'Ocean. Une fois la revolution sociale consommee-vive la nouvelle litterature! Jusque-la nous n'aurons que des Ponsard ou des Hugo ou tout au plus des prophetes puissants mais tourmentes et malades comme George Sand.
   Une grande partie de ces reflexions m'est venue a l'esprit l'autre soir, pendant que j'assistais a la representation d'une revue de l'annee 1847, "Le Banc d'huitres", au Palais-Royal6. C'etait amusant, et je riais... Mais, bon Dieu que c'etait maigre, pale, timide et mesquin a cote de ce qu'aurait pu en faire - je ne dis pas Aristophane - mais quelqu'un de son ecole! Une comedie fantastique, extravagante, railleuse et emue, impitoyable pour tout ce qu'il y a de faible et de mauvais dans la societe et dans l'homme pleme, et finissant par rire de sa propre misere, s'elevant jusqu'au sublime pour s'en moquer encore, descendant Jusqu'au stupide pour le glorifier, le jeter a la face de notre orgueil... que ne donnerait-on pour y assister! Mais non, nous sommes voues au Scribe a perpetuite7. Bourgeoisie, societe... en commandite, pose une couronne de feuilles de chou sur le front de ton plus illustre representant!
   Je ne desespere pas de vous lire "Les Oiseaux" ou "Les Grenouilles" d'Aristophane en retranchant tout ce qui est par trop cynique8.
   Ainsi vous voila donc a Berlin9; vos deux premieres campagnes sont terminees, et vous vous trouvez maintenant au milieu d'un peuple deja conquis. Le bon Muller vous remettra cette lettre. En voila un qui sera content de vous voir! Vous nous donnerez votre adresse: comme je connais Berlin par coeur, je saurai facilement trouver votre maison dans ma memoire. Vous allez debuter dans une semaine. Je connais quelqu'un qui se mettra a etudier les journaux de Berlin. Il y a dans les "Didaskalia" de Francfort un article enthousiaste sur vous, date de Hambourg. A propos, l'"Illustration" annonce votre engagement au Grand-Opera pour l'hiver prochain. On ecrit de Petersbourg que le theatre italien y est a l'agonie. J'ai parle dans ma lettre a votre mari de "La Cenerentola" et de Mlle Albonil0. J'espere que vous allez vous porter tous, mari, femme et enfant, comme des anges, ou comme nous, car nous allons tres bien, mais tres bien.
   Bonjour, Madame. Au risque de vous ennuyer en vous repetant toujours la meme chose, je vous souhaite tout ce qu'il y a de meilleur, de plus grand et de plus beau sur la terre; vous savez si mes voeux sont sinceres... Portez-vous bien et soyez heureuse.

Votre tout devoue

J. Tourgueneff.

   P. S.- Que Dios bendiga a Vd.
  

83. ПОЛИНЕ ВИАРДО

23 декабря 1847 (4 января 1848). Париж

  

Paris,

се 4 janvier 48.

   Ah! Madame, quelle bonne chose que les longues lettres! (comme celle que vous venez d'ecrire a bonne maman par exemple). Avec quel plaisir on en commence la lecture! C'est comme si l'on entrait en ete dans une longue allee bien verte et bien fraiche. Ah! se dit-on, il fait bon ici; et on marche a petits pas, on ecoute babiller les oiseaux. Vous babillez bien mieux qu'eux, Madame. Continuez ainsi, s'il vous plait; sachez que vous ne trouverez jamais des lecteurs plus attentifs et plus gourmands. Vous imaginez-vous Mme votre mere au coin de son feu, me faisant lire a haute voix votre lettre qu'elle a eu deja presque le temps d'apprendre par coeur? C'est alors que sa figure est bonne a peindre! A propos, je n'ai pas encore vu son portrait; elle ne veut me le montrer que quand il sera acheve, ce qui ne tardera pas. J'ai aussi l'intention de prier Mr Leon de faire le mien au crayon1.
   Also, willkommen in Berlin2. Je sais ou vous demeurez; ce n'est pas loin des Brandenburger Thor. Pardon de la liberte grande que je vais prendre en parlant de votre appartement, mais pourquoi certains endroits que l'on ne nomme qu'en anglais, probablement parce que les Anglais sont le peuple le plus decent en paroles, pourquoi ces endroits sont-ils exposes a l'inclemence des saisons et a la rigueur de l'air? Prenez-y garde, je vous en prie, et remediez-y: c'est plus dangereux que cela ne parait au premier coup d'oeil par ce temps de grippe et de rhumatismes. Vous allez joliment vous moquer de moi et des matieres dont je remplis ma lettre, mais je vous assure que j'en ai eu l'esprit frappe. Je vous vois d'ici sourire en relevant l'epaule droite et inclinant la tete du meme cote (c'est un geste qui vous est familier et que je ne vous conseille pas d'abandonner, car il est tres joli, surtout quand il est accompagne d'une certaine petite moue...), je vois s'epanouir la grosse barbe rousse de l'ami Millier...
   Ainsi, vous avez debute par "La Juive"3. Ce seul nom de "Juive" evoque en moi une foule de figures et de souvenirs: Mr Kraus, avec ses dents superposees, son ricanement et ses doigts couleur mine de plomb, Mr Lange, si mielleux, si reserve, si tendrement emu par son propre merite, les epoux Pille-au-Nid4, le gros Mr de Dalmatie, etc., etc. Savez-vous, Madame, qu'il faut que vous agrandissiez cette annee "le cercle de vos connaissances"? Et a propos, Mme Isabella [est-elle venue vous lamer los zapatos? (Ah! ecoutez, n'allez pas permettre a Mr Truhn de le faire; vous savez - enfin! Je me doutais bien qu'il tournerait casaque, aussi n'ai-je pas ete surpris de son article dans la "Zeitungs-Halle" le lendemain de votre arrivee a Berlin. Des gens comme lui peuvent tout au plus mettre un peu de boue sur votre passage; mais si vous tenez a avoir les semelles de vos souliers propres, empechez-le de le faire, d'autant plus qu'il n'y a qu'a lui jeter un peu d'oubli meprisant pour aumone). Encore une fois, willkommen in Berlin. Portez-vous bien, composez, amusez-vous et soyez heureuse. Si vous pouviez y trouver une c-esse Kamienska5 ou bien si vous pouviez lui faire quitter Dresde pour quelque temps!
   Il faut cependant que je vous parle un peu de Paris et de ce qui s'y passe. Dans tous les cas, pour moi ce n'est pas le temps qui se passe le plus vite. Cependant, les evenements ne nous ont pas fait defaut: la mort de Mme Adelaide6, la prise d'Abd-el-Kader7 (voila aussi un homme qui n'a pas su mourir a propos), le Nouvel An, l'ouverture des Chambres8, la suspension du cours de Michelet9, etc., etc. Mais votre mari vous en aura deja parle.
   Le jour de l'an, nous avons dine en famille chez Mme votre mere. Le soir on y a joue aux jeux innocents, et c'est Mr Guy qui proposait toujours les gages les plus hm. hm. Il a meme fini par prendre galamment Mlle Antonia par la taille et lui a applique un gros baiser sur la joue... je me trompe, il n'etait pas gros: on ne peut pas en donner sans dents. Enfin, nous nous sommes beaucoup amuses. Mr Leroy d'Etioles m'a mene avant-hier chez une Mme de Noiriontaine. Je m'y suis beaucoup ennuye. J'ai meme ete surpris d'y retrouver un certain parfum de societe de Peters-bourg qui ne m'a pas du tout enchante. Il est vrai que son mari est un employe et que tous les employes du monde se ressemblent. J'ai entendu "L'Elisir d'Amore"l0 aux Italiens. Lablache m'a fait rire. Mme Persiani nage dans son role, par rapport a la voix, "comme un poisson dans l'eau"; eh bien! je vous assure, ganz objectiv gesprochen comme disent nos amis les Allemands, vous y etes bien, mais bien meilleure. Mme Persiani doit etre une mechante femme; quand Nemorino vient la supplier a la fin du premier acte, elle a l'ait un geste qui m'a rappele une des femmes de chambre de ma mere, l'etre le plus froidement mechant que 39 connaisse. On voyait que la jouissance acre de se venger, de faire du mal, la prenait a la gorge - c'en etait degoutant, fil Je m'en souviens, vous aviez aussi l'air fort content de pouvoir vous venger, de voir Mr Nemorino reduit a vous supplier, mais ce n'etaient que des petites broderies noires sur un fond clair... Quand on est bon au fond, on peut se donner de ces petits plaisirs-la. Vive le diable, quand on monte dessus.
   J'ai vu hier le nouvel opera d'Auber, "Haydee"11. Ce soi-disant opera-comique a toutes les allures d'un grand opera. Grands duos, grandes phrases, grands mots et pas une seule melodie. C'est ce qui explique peut-etre son succes; les habitues ne le sont pas a de pareils flons-flons.
   La donnee meme du libretto est triste et fausse; c'est l'histoire d'un homme qui a commis dans sa vie une action infame, d'un Gudin, qui a triche au jeu; son adversaire s'est tue et les remords poursuivent l'assassin. Il se trahit en songe; son ennemi veut en profiter, etc., etc. Enfin, la vertu - non pas la vertu cette fois-ci, le vice repentant triomphe et la mechancete succombe. Deux femmes sont melees a toute cette histoire. Le denouement est d'une invraisemblance foudroyante. C'est du Scribe exagere. Roger que j'ecoutais hier avec un redoublement d'attention, vous savez pourquoi, s'est tres bien acquitte de son role; il n'y a pas a dire, c'est un homme de talent et un tres bon acteur. On voyait du reste qu'il etait enchante de cette musique a tapage et a grands effets. Cependant, il y a par-ci par-la de jolies choses. Mais quand le regne des barbons finira-t-il? Nous sommes las de ces graces edentees, de cet esprit d'il y a vingt ans. Que font les jeunes, les forts? Je n'ai cesse de penser hier soir a Vivier. Avec les elements qu'il y a a l'opera comique, il pourrait faire un chef-d'oeuvre. Mlle Grimm a une petite voix bien fraiche et bien vibrante dans sa petitesse. Mlle Lavoye - couci-couci12: j'ai trouve qu'elle ressemblait a Karatiguina (pour le visage)13. Toutes deux retirent la levre inferieure, relevent les sourcils et renversent la tete quand elles veulent faire des agilites sur des notes hautes, ce qui leur donne une expression inimaginablement ridicule; elles ont alors l'air doies saisies par le bec. J'etais assis tout pres de l'orchestre; j'ai trouve devant moi un livre qui traitait de l'histoire de Paris et dans les entr'actes je lisais des extraits de recits contemporains sur la Saint-Barthelemy, le massacre des Armagnacs et autres gentil-lusses14. Des passions feroces, du sang par torrents, des cruautes inouies, et puis la toile se levait et je voyais Mlle Lavoye, pimpante et paree avec ses mains qu' elle tient toujors ainsi: le cinquieme doigt bien detache... quel drole de contraste! (N. B. C'est l'interieur de la main que je vous montre... apprenez, Madame, a dessiner des mains!..) Ah! l'homme est une creature bien etrange.
   Je vous quitte sur cette reflexion si neuve. Je vous remercie bien - sehr - macho - очень - much des quelques paroles a mon adresse dans votre lettre a Mme Garcia15. Je serai bien content de recevoir une lettre de Mr Louis. Je vous salue tous bien amicalement. Je remercie Luisita16 de son souvenir et lui rends la pareille. Bonjour, Madame, je vous souhaite tout ce qu'il y a de meilleur au monde. A los pies de Vmd.

Votre devoue

J. Tourgueneff.

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84. ПОЛИНЕ ВИАРДО

30 декабря 1847 (11 января 1848). Париж

  

Paris, ce 11 janvier 1848.

   Je viens de recevoir a l'instant la lettre que vous m'avez envoyee sous le couvert de Mme Garcia. Je remercie votre mari de son bon souvenir; quant a ce qu'il me dit de la situation de la France, je ne demande pas mieux que d'avoir tort - et d'etre detrompe - le plus vite possible1. Mes petites nouvelles (qui du reste sont d'un genre diametralement oppose a celui de Florian)2 ne meritent pas l'honneur d'une traduction; mais l'offre que me fait el sefior Luis3 est trop flatteuse pour que je ne m'abonne pas des a present a en profiter plus tard, quand j'aurai fait enfin quelque chose de bon - si Apollon veut que ce bonheur m'arrive. En meme temps je souhaite au grand chasseur... Halte-la! je ne lui souhaite rien. Si lui, l'homme raisonnable par excellence, ne s'est pas laisse infecter par les superstitions de ma chere patrie - je ne suis pas Russe pour rien - moi et ne vaux pas lui gater son plaisir.
   Les articles sur la "Norma" m'ont fait eprouver ce que les Allemands nomment Wehmuth. En vous comparant avec vous-meme d'il y a un an, Ms les critiques semblent remarquer un changement, un developpement dans la maniere dont vous faites ce role.- Et moi - ay de mi - je ne puis savoir ce qu'ils veulent dire: je ne vous ai pas vue dans la "Norma" depuis St-Petersbourg. Diese Entwicklungsstufe ist mir entgangen. Je suis pret a crier: Au vol! comme Mascarille4. Au fond (je vous le dis en secret et a vous seule) j'en suis un peu chagrine. Rellstab et Kossack parlent tous les deux "von einer milderen Darstellung"; je sais bien que ce n'est pas la une Milde a la Lind; je suis persuade au contraire que cela doit etre tres beau, tres vrai et tres poignant. Oui, les grandes souffrances n'abattent pas les grandes ames; elles les rendent calmes, plus simples - elles les assouplissent sans leur rien faire perdre de leur dignite.- "Les coups de marteau" dit Pouchkine quelque part - "brisent le verre et forgent l'acier"5 - l'acier plus fin, plus souple et plus fort que le fer. Ceux qui ont passe par la, ceux qui ont su souffrir - (j'allais dire ceux qui ont eu ce bonheur - car c'en est un, que l'egoiste par exemple ou le lache ne connaissent pas) - en gardent une empreinte qui les annoblit - s'ils y resistent. Dieux - que j'aurais ete content d'assister a une representation de la "Norma"! Cette femme au coeur si haut place - et si naif, si droit, si vrai, en lutte avec son amour et sa destinee - ces grands et simples mouvements des passions dans une ame primitive - ce cruel et doux melange de tout ce qu'il y a de plus cher dans la vie - et de la mort - cette explosion delirante de la fin - cette intelligence si forte et si fiere qui au moment de mourir se laisse enfin envahir toute entiere par la tendresse la plus vive, par l'enthousiasme du sacrifice - n'en parlons plus.- Je tacherai de vous construire dans la "Norma" d'apres l'idee que j'ai de votre talent, d'apres mes souvenirs... Il est vrai que je ne suis plus rompu comme autrefois a cet exercice allemand par excellence... enfin, j'essaierai.
   Vous me parlez aussi du "Romeo", du troisieme acte, dont Muller a loue les paroles... Cela me rappelle la petite chambre de Courtavenel, ou nous les avons arranges... Vous avez la bonte de me demander des remarques sur "Romeo"6... Que pourrais-je vous dire que vous n'auriez deja su et senti d'avance! - Plus je reflechis a la scene du troisieme acte, plus il me semble qu'il n'y a qu'une maniere de la rendre - la votre, On ne peut s'imaginer quelque chose de plus affreux - que de se trouver devant le cadavre de tout ce qu'on aime; mais le desespoir qui vous saisit alors doit etre tellement horrible que s'il n'est pas retenu et glace par la ferme resolution de se donner la mort a soi-meme ou par tout autre grand sentiment - l'art n'est plus en etat de les rendre. Des cris entrecoupes, des sanglots, des evanouissements - c'est de la nature - ce n'est pas de l'art. Le spectateur lui-meme n'en serait pas emu - de cette emotion profonde et poignante qui vous fait verser avec delices des larmes quelquefois bien ameres. Tandis que de la maniere dont vous voulez faire Romeo (d'apres ce que vous m'en ecrivez) - vous produisez sur votre auditoire une impression ineffacable. Je me souviens de l'observation fine et juste que vous fites un jour sur les petits mouvements agites et continus que se donne Rachel tout en gardant une attitude calme et grandiose; cela n'etait peut-etre chez elle que du savoir-faire, mais - en general - c'est le calme, provenant d'une forte conviction ou d'un sentiment profond, le calme qui enveloppe pour ainsi dire de tous cotes les elans desesperes de la passion - qui leur communique cette purete de lignes, cette beaute ideale et reelle, la vraie, la seule beaute de l'art. Et ce qui prouve la verite de cette remarque, c'est que la vie elle-meme - dans de rares moments-il est vrai, dans les moments ou elle se degage de tout ce qu'elle a d'accidentel et de commun - s'eleve au meme genre de beaute. Les plus grandes douleurs, avez-vous dit dans votre lettre - sont les plus calmes; et les plus calmes sont les plus belles - pourrait-on ajouter. Mais il s'agit de savoir reunir les deux extremes - ou sinon on paraitra froid. Il est plus facile de ne pas attenter a la perfection - plus facile de rester a mi-chemin, d'autant plus que la plupart des spectateurs ne demandent pas autre chose - ou plutot ne sont pas habitues a autre chose; mais vous n'etes ce que vous etes que par cette noble tendance a ce qu'il y a de plus haut - et croyez moi - ist der Punkt getroffen - tous les coeurs, meme les plus vulgaires, bondissent et s'elancent.- A Petersbourg - il fallait etre soi-meme - un peu artiste pour sentir tout ce que vos intentions avaient de magnifique; vous avez grandi depuis lors; - vous etes devenue comprehensible pour tout le monde - sans cesser cependant d'avoir beaucoup de choses reservees aux elus.
   Je vous ecris tout cela tout chaud, tout bouillant; vous aurez la bonte de suppleer - avec votre finesse de divination ordinaire - a ce que mes expressions auront d'inexact et d'incomplet.- Je n'ai pas le temps de faire du style; je n'en ai pas meme la volonte.- Je ne veux que vous dire ce que je pense.
   Je dois finir ma lettre et je ne vous ai pas parle de ce qui se fait a Paris. Je le ferai dans une autre lettre, tres prochaine, si vous le voulez bien. Vous avez bien fait de nous envoyer l'article de Kossack; depuis la nouvelle annee on ne tient plus la "Zeitungs-Halle" au "Cabinet de lecture" 7.
   Tout le monde se porte bien. J'ai ete hier aux Italiens. On donnait "La Donna del Lago"8. Quelle delicieuse musique! (malgre quelques longueurs et quelques vieilleries.) Mais aussi quel libretto! Mme Alboni y a ete bien dans les An-dante - et tres molle dans les Allegro. Elle et Mme Grisi ont dit a ravir le petit duo du 2d acte. Mario a bien chante son air. Les choeurs ont ete detestables. (Quel dommage! Le choeur des bardes - est magnifique, autant qu'on en pouvait juger.)
   Cette fois-ci, Madame, vous le voyez, je ne laisse plus de marge. Saluez Miiller de ma part, s'il vous plait. Et portez-vous bien, vous tous que j'aime beaucoup.- Je vous remercie pour votre bon souvenir, je vous souhaite tout ce qu'il y a de meilleur sur la terre, je vous serre la main bien fort et je reste pour toujours votre tout devoue

J. Tourgueneff.

  
   P. S. A propos, je dois vous dire qu'avant-hier, dimanche, il y a eu une soiree musicale chez votre frere9. Il n'y avait que ses eleves: Barbot, Bataille etc. Mlle Antonia s'y est fort distinguee. Elle a chante la partie de Semiramide dans le quatour du "Serment" - parfaitement bien.- Balfe y etait.- Tout le monde ici parle de votre engagement comme d'une chose concluel0.- Adieu. Seien Sie auf ewig gesegnet, Sie edles, liebes, herrliches Wesen.
  

1848

  

85. ПОЛИНЕ ВИАРДО

5, 6 (17, 18) января 1848. Париж

  

Paris.

17/5 janvier 48.

   Madame votre mere vient de me montrer la lettre que vous lui avez envoyee le lendemain de la representation d'"Iphigenie"1, lettre pleine de choses fines et grandes a la fois - privilege que vous possedez - presque seule - et, j'ajoute le mot presque pour n'avoir pas l'air de vouloir vous dire un compliment. Ainsi, le public cette fois-ci a moins goute cette belle musique et Sa Majeste y a ete. Ce qui me vexe un peu, c'est de voir que - par le temps qui court - le gout du beau s'allie fort souvent a la faiblesse pretentieuse, le dilettantisme minutieux et sensualiste, voire meme a la depravation (temoins la haute personne que je viens de citer et le roi de Baviere). Ne pourrait-on pas avoir de la force et du gout en meme temps? Ces deux choses s'ex-clueraient-elles? Pourquoi la jeunesse est-elle' si... si "plump"? Pourquoi son exaltation meme est-elle si naivement fausse? Les vieillards ont toujours eu plus d'esprit qu'elle - et cela est bien naturel - faut-il qu'ils aient aussi plus d'instinct? Je suis vexe d'avance de l'article de Rellstab2, malgre tous les eloges qu'il vous donnera; c'est aussi un vieux grigou, un vieux "flaireur"; et son jeune remplacant, c'est Mr Lange3! Que ne donnerais-je pas pour lire un article vraiment jeune, chaleureux et fin, sur votre Iphigenie. Mais si, comme vous le dites, vous avez inspire un artiste, vous devez etre contente; cela vaut encore mieux que la parole. Du reste, je suis trop grunon aujourd'hui; je finirai ma lettre demain.
  
   Mardi 18.
   J'ai lu l'article de Rellstab et aussi celui de Kossack4, qui n'est pas mauvais. Kossack a certainement de l'esprit et du gout; pourquoi a-t-il un si vilain regard? J'ai trouve en meme temps dans la "Zeitungs-Halle" un article de ce Mr Truhn sur "Le Barbier de Seville"; il y dit des choses aigres-douces a Mlle Fodor, lui qui naguere encore lui offrait de son encens le plus impur. Fi! j'en veux a ce gred-in de ce qu'il parle de vous...5
   Vous ai-je dit dans ma derniere lettre que j'ai assiste a un concert du Conservatoire? on n'y a donne que du Mendelssohn6. La Symphonie en la m'a beacoup plu. C'est'elegant, fort, eleve. L'execution en a ete monstrueusement parfaite; il est impossible d'imaginer quelques chose de plus etonnant.
   Votre frere a de nouveau rassemble quelques-uns de ses eleves dimanche passe. On y a execute entre autres le Sextuor de "La Cenerentola", le trio des masques du "D<on> Juan", le duo de "L'Elisir" ("Quant 'amore"), ce dernier par Bataille et Mlle Antonia, qui ne s'en est pas mal tire, en vous copiant quelquefois assez heureusement. J'y ai entendu une Dlle Zehner, contralto, bonne fille, forte et fraiche, voix idem. Elle ne chante pas mal. Elle a l'air bon garcon (dans le genre de Georges du "Gotz v<on> Berlichingen"7) et me fait l'effet de savoir s'acharner a l'etude. Cela me rappelle le surnom que je vous ai donne a vous, ainsi qu'a toi te votre famille, a Courtavenel8 - errinern Sie sich? Da Ich einmal Deutsch gesprochen habe, so benutze Ich die Gele-genheit um Ihnen zu sagen, dass es gar nichts edleres, lie-beres, theueres auf der Erde giebt als Sie. Nous nous sommes separes fort tard a minuit et demi. Dimanche prochain nous nous reunissons de nouveau. N. B. Barbot chante tres bien - mais quelle voix, helas! ou plutot hola!
   Aujourd'hui, mardi, vous allez probablement chanter Romeo, et au moment ou j'ecris (il est onze heures et demie) vous devez etre dans une jolie petite agitation. Je fais les voeux les plus sinceres pour votre reussite. Il me semble qu'elle sera complete. Pourquoi ne puis-je etre a Berlin aujourd'hui? Ah! pourquoi? pourquoi?
   Ah ca! mais decidement, depuis quelque temps, je ne vous donne plus aucune nouvelle de Paris. Il est vrai que je me tiens coi dans mon trou. Voyons, cependant. J'ai ete l'un de ces jours au Jardin d'Hiver, qui est en effet une admirable chose9.- Figurez-vous un espace immense, rempli de fleurs, d'arbres, de statues, et recouvert a une hauteur prodigieuse par un immense dais en verre, soutenu par taie foule de colonnes en fer de fonte, fines et sveltes; au fond, un superbe jet d'eau. Le seul drawback ou desagrement qwe j'y ai eprouve a ete une odeur de dalle mouillee, odeur chaude et legerement nauseabonde. On dit aussi que la pluie y penetre trop facilement. Mais je m'imagine qu'un beau bal au Jardin d'Hiver doit etre un spectacle eblouissant. Votre mari vous a certainement parle du nouveau roman do Mme Sand, que le "Journal des Debats" publie dans son feuilleton: "Francois le Champi"l0. C'est fait dans sa meilleure maniere: simple, vrai, poignant. Elle y entremele peut-etre un peu trop d'expressions de paysan; ca donne de temps en temps un air affecte a son recit. L'art n'est pas du daguerreotype, et un aussi grand maitre que Mme Sand pourrait se passer de ces caprices d'artiste un peu blase. Mais on voit clairement qu'elle en a eu jusque par-dessus la tete des socialistes, communistes, des Pierre Leroux et autres philosophes; qu'elle en est excedee et qu'elle se plonge avec delices dans la fontaine de Jouvence de l'art naif et terre a terre11. Il y a entre autres, tout au commencement de la preface, une description en quelques lignes d'une journee d'automne...12 C'est merveilleux. Cette femme a le talent de rendre les impressions les plus subtiles, les plus fugitives, d'une maniere ferme, claire et comprehensible; elle sait dessiner jusqu'aux parfums, jusqu'aux moindres bruits... Je m'exprime mal; mais vous me comprenez. La description dont je vous parle m'a fait penser au chemin borde de peupliers qui conduit au Jarriel13, le long du parc; j'ai revu les feuilles dorees sur le ciel d'un bleu pale, les fruits rouges de l'eglantier dans les haies, le troupeau de moutons, le berger avec ses chiens et une foule d'autres choses... Vous souvenez-vous?
   Pans a ete mis en emoi pendant quelques jours par le discours fanatique et contre-revolutionnaire de M. de Mon-talembertl4; la vieille pairie a applaudi avec rage aux invectives que l'orateur adressait a la Convention. Encore un symptome - et des plus graves - de l'etat des esprits. Le monde est en travail d'enfantement... Il y a beaucoup de gens interesses a le faire avorter. Nous verrons. A propos d'enfantement: la petite chienne de Mlle Jenny est morte en couches; pauvre petite bete! elle a du beaucoup souffrir. Ce deces a fait contremander un vendredi.
   Vous avez donc de la neige et des traineaux; nous n'avons que de la boue et de la pluie. Je vois d'ici le bon Hermann Muller-Strubing entrer chez vous, une branche de lilas a la main. Donnez donc a Mme votre mere une petite description de votre appartement; cela aidera beaucoup l'imagination de vos amis, qui, je vous le promets, prend bien souvent son vol du cote de Berlin. Eh bien! et Mme Lange, continue-t-elle a vous plaire? Donnez-nous-en des nouvelles. Et les dames Kamienski?
   Je travaille beaucoup et avec assez de fruit.
   J'ai deja lu presque tout le "Gil Blas" en espagnol15, je traduis "Manon Lescaut"16 et je suis entre en correspondance avec un autre eleve de mon maitrel7, correspondance anonyme et n'ayant d'autre but que celui de nous perfectionner dans l'etude de la "magniiica lengua castellana". Mais voyez quelle chance! dans ma premiere lettre, je me suis un peu egaye (je ne sais plus a quel propos) sur le compte du gouvernement autrichien, et il se trouve que mon correspondant est un juif de Vienne fort patriote. Du reste, mon maitre m'assure que c'est un bon garcon et qu'il ne l'a pas pris en mauvaise part. En meme temps, je travaille a une comedie destinee a un acteur de Moscoul8. Vous voyez que je ne perds pas mon temps. (N. B. Vous voyez aussi qui j'utilise mes marges.)
   Sur ce, je vous salue tous bien amicalement; l'un de ces quatre matins, je repondrai a l'aimable lettre du Sr. don Luis.
   Portez-vous bien y que Dios bendiga Vd. Auf ewig ihr alter getreuer

J. Tourgueneff.

  
   P. S. Dites, s'il vous plait, a Miiller, que je lui demande pardon de lui avoir ecrit une si petite lettre et que l'un de ces jours je vais lui en envoyer une qui sera soignee! Je pense souvent a sa bonne et franche figure, ornee d'une magnifique barbe tricolore. Et a vous, Madame, je vous ecrirai bientot une lettre espagnole. Vm. vera (a propos, echar s'ecrit sansh). Leben Sie wohl. Ich kiisse Ihnen die Hande. Sie sind das edelste Geschopf auf Erden.

J. T.

  

86. ГЕОРГУ И ЭММЕ ГЕРВЕГ

20-е числа марта и. ст. 1848. Париж

  
   Eben kommt jemand zu mir von der Regierung1 und sagt mir, sie halte die Nachricht bekommen, Berlin sei in der Gewalt des Volks2, der Konig nach Spandau gefluchtet3.- Ich kann selbst nicht herauikommen4. Ich huste wie ein krankes Schaaf.
  

87. ПОЛИНЕ ВИАРДО

17, 18, 19, 20 апреля (29, 30 апреля, 1, 2 мая) 1848. Париж

  

Paris, samedi 29 avril 1848.

   Guten Mo'rgen und tausend Dank, beste, theuerste, gelieb-teste Frau!..
   Apres cette espece d'"Ave",- voyons, de quoi vous en-tretiendrai-je aujourd'hui? Ma derniere... ou plutot ma premiere lettre a ete si folle, qu'il faut que je tache d'etre excessivement raisonnable cette fois-ci - et de remplir nies 4 pages sans marges. La derniere partie de ma "proposition", comme dirait un rhetoricien, est-tres facile a executer, d'autant plus que ma lettre ne partira qu'apres-demain; pour la premiere, ma foi - elle deviendra ce qu'elle pourra. On fera son possible.- Je vous dirai donc, Madame, que tous ces jours-ci il a fait un temps brumeux, maussade, froidiuscule, pour ne pas dire froid, pleurni cheur et maladif - very gentlemanlike, en un mot c'est-a-dire atroce. J'attendrai un soleil plus propice pour aller a Fontainebleau; jusqu'a present nous n'avons eu qu'un genuinu English sun, warranted to produce a gentle and comfortab-l'e beat. Cependant cela ne m'a pas empeche d'aller hier a l'Exposition. Savez-vous que dans toute cette grande diablesse d'Exposition il n'y a qu'une petite esquisse de Delacroix qui m'ait veritablement plu? "Un lion qui devore une brebis dans une foret". Le lion est fauve, herisse, superbe, il s'est bien commodement couche, il mange avec appetit, avec sensualite, avec toute tranquillite d'esprit; et quelle vigueur dans le coloris, ce coloris sale et chaud, tachete et lumineux a la fois, qui est particulier a Delacroix.- Il y a aussi deux autres tableaux de lui: "La Mort de Valentin" (dans "Faust") et "La Mort du Christ", deux abominables croutes - si j'ose m'exprimer ainsi. Du reste - rien. Quelle triste exposition pour inaugurer la Republique1!
   Le soir j'ai ete voir les "Cinq sens", ballet. C'est inimagi-nablement absurde. Il y a entre autres une scene de magnetisme - (Grisi magnetise Mr Petitpa pour lui faire naitre le sens du gout) - qui est quelque chose de colossal en fait de stupidite. Il y avait beaucoup de monde; on a beaucoup applaudi. Grisi a fort bien danse en effet.- Mais c'est ennuyeux, un ballet. Des jambes, des jambes et puis des jambes... c'est monotone2. Avant le ballet on a donne le 2-е acte de "Lucie"3 avec Poultier!!, Portheaut!!! et une demoi-relie Rabi ou Riba ou Ribi ou Raba - enfin un nom parfaitement anonyme. Cette demoiselle anonyme avait une peur atroce; mais sa voix est fort mauvaise; il est vrai de dire qu'elle est laide, ce qui ne l'empeche pas d'etre vieille. Je puis vous offrir un dessin ou comme le disent les ingenieurs un trace, une "coupe parallele" de sa voix et de sa maniere d'en tirer parti.
  
   Dimanche, 30 avril.
   Bonjour, Madame.- Quand on met le matin le nez a la fenetre... tiens c'est un vers. Eh bien puisqu'il est venu tout seul il faut lui faire la politesse de lui donner un compagnon... "Peut-etre on ne voit rien - quelque chose peut-etre!" C'est du Hugo tout pur4.- Mais je voulais dire autre chose. Je voulais dire que quand (oh, la maudite plume!) on met le matin le nez a la fenetre et qu'on respire l'air du printemps - on ne peut s'empecher de desirer etre heureux. La vie - cette petite etincelle rougeatre dans l'Ocean sombre et muet de l'Eternite!!!, ce seul moment, qui nous appartient - etc., etc., etc. ... c'est bien lieu commun - et cependant c'est vrai. (Demain je m'acheterai d'autres plumes; celles-ci sont detestables et me gatent le plaisir que j'ai de vous ecrire.) - Voyons cependant... (Ah! grace a Dieu! en voila une qui est passable!) - J'avais promis d'etre raisonnable. Qu'ai-je fait hier, samedi? J'ai lu un livre dont j'avais souvent parle avec beaucoup d'eloges sans le connaitre: je le confesse - "Les Provinciales" de Pascal, c'est admirable de tous points. Bon sens, eloquence, verve comique - tout y est. Et cependant c'est l'ouvrage d'un esclave - d'un esclave du catholicisme. "Les Cherubins, ces glorieux composes de tete et de plume", "les illustres faces volantes", qui soiit "toujours rouges et brulantes" du jesuite Le Moine m'ont l'ait rire aux eclats5. Puis je suis alle voir l'exposition des figures representant la Republique - ou plutot de 700 esquisses representant cette figure - et je suis revenu indigne comme tout le monde. C'est une abomination inimaginable! - Quel concours!! Ou es-tu jury6? Puis j'ai passe ma soiree chez un Mr Toutchkoff7 dont je vous ai deja parle.- Nous y avons mene une conversation plus ou moins interessante, mais fort penible. Connaissez vous de es maisons, ou il est impossible de causer a esprit couche, ou la conversation devient une serie de problemes, qu'on resout a la sueur de son intellect, ou le maitre de la maison ne se doute pas que souvent la plus delicate des attentions est de ne pas faire attention a son {Далее зачерпнуто: visiteur} convive, ou il y a de la glu a chaque parole? - Quel supplice! C'est un relais de poste qu'une pareille conversation et c'est vous qui faites le cheval. Puis en me couchant, j'ai lu le "Voyage autour de ma chambre" du comte de Maistre, autre chose que je ne connaissais pas. Mais ce voyage m'a fort peu plu; c'est une imitation de Sterne - faite par un homme de beaucoup d'esprit - et j'ai remarque qu'en fait d'imitations, les plus spirituelles sont precisement les plus detestables - quand elles se prennent au serieux.- Un sot copie servilement; un homme d'esprit sans talent imite pretentieusement et avec effort - avec le pire de tous les efforts - avec celui de vouloir etre original. Une pensee captive qui se debat - triste spectacle! Les imitateurs de Sterne me sont surtout en horreur - des egoistes remplis de sensibilite, qui se mijotent, se lechent et se plaisent tout en se donnant des airs de simplicite et de bonhomie.- (Topffer est un peu dans ce genre)8.
   L'expedition de mon ami Herwegh a fait un fiasco complet; on a fait un massacre atroce de ces pauvres diables d'ouvriers allemands; le chef en second, Bornstedt a ete

Категория: Книги | Добавил: Anul_Karapetyan (24.11.2012)
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