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Герцен Александр Иванович - Du developpement des idêes rêvolutionnaires en Russie

Герцен Александр Иванович - Du developpement des idêes rêvolutionnaires en Russie


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А. И. Герцен

  

Du developpement des idêes rêvolutionnaires en Russie

  
   А. И. Герцен. Собрание сочинений в тридцати томах.
   Том седьмой. О развитии революционных идей в России. Произведения 1851-1852 годов
   М., Издательство Академии Наук СССР, 1956
   Дополнение:
   Том тридцатый. Книга вторая. Письма 1869-1870 годов. Дополнения к изданию.
   М., Издательство Академии Наук СССР, 1965
  
   Introduction
   I. La Russie et l'Europe
   II. La Russie avant Pierre Ier
   III. Pierre Ier
   IV. 1812-1825
   V. La littêrature et l'opinion publique après le 14 Dêcembre 1825
   VI. Panslavisme moscovite et europêisme russe
   Epilogue
   Annexe. Sur la commune rurale en Russie
  

A notre ami

MICHEL BAKOUNINE

  

INTRODUCTION

  

Dich stört nicht im Innern

Zu lebendiger Zeit

Unnützes Erinnern

Und vergeblicher Streit.

Goethe.

  
   ...Je quittai la Russie au milieu d'un hiver froid, neigeux, par une petite route de traverse, peu frêquentêe et qui ne sert qu'à relier le gouvernement de Pskov à la Livonie. Ces deux contrêes qui se touchent, ayant peu de rapports entre elles, êloignêes de toute influence extêrieure, offrent un contraste qui ne se prêsente nulle autre part avec tant de nuditê, nous dirions même, avec tant d'exagêration.
   C'est un dêfrichement à côtê d'un enterrement, c'est la veille touchant le lendemain, c'est une germination pênible et une agonie difficile. D'un côtê tout sent la chaux, rien n'est terminê, rien n'est encore habitable, partout des bois de construction, des murs nus; de l'autre, tout sent le moisi, tout tombe en ruines, tout devient inhabitable, partout fentes, dêbris et dêcombres.
   Entre les bois de sapin saupoudrês de neige, dans de grandes plaines, apparaissaient les petits villages russes; ils se dêtachaient brusquement sur un fond d'une blancheur êblouissante. L'aspect de ces pauvres communes rurales a quelque chose de profondêment touchant pour moi. Les maisonnettes se pressent l'une l'autre, aimant mieux brûler ensemble que de s'êparpiller. Les champs sans haies ni clôtures, se perdent dans un lointain infini derrière les maisons. La petite cabane pour l'individu, pour la famille; la terre à tout le monde, à la commune.
   Le paysan qui habite ces maisonnettes est restê dans le même êtat où les armêes nomades de Tchinguis-Khan le surprirent. Les êvênements des derniers siècles ont passê au-dessus de sa tête, sans même êveiller son insouciance. C'est une existence intermêdiaire entre la gêologie et l'histoire, c'est une formation, qui a un caractère, une manière d'être, une physiologie - mais non une biographie. Le paysan rebâtit, au bout de deux ou trois gênêrations, sa maisonnette en bois de sapin, qui dêpêrit peu à peu, sans laisser plus de traces que le paysan lui-même.
   Parlez-lui cependant, et vous verrez de suite si c'est le dêclin ou l'enfance, la barbarie qui suit la mort ou la barbarie qui prêcède la vie. Mais d'abord parlez-lui sa langue, rassurez-le, montrez-lui que vous n'êtes pas son ennemi. Je suis bien loin de blâmer la crainte du paysan russe à l'endroit de l'homme civilisê. L'homme civilisê qu'il voit est ou son seigneur, ou un employê du gouvernement. Eh bien, le paysan se mêfie de lui, le regarde d'un œil sombre, le salue profondêment et s'êloigne de lui, mais il ne l'estime pas. Il ne craint pas en lui une nature supêrieure, mais une force majeure. Il est vaincu, mais il n'est point laquais. Sa langue rude, dêmocratique et patriarcale, n'a pas reèu l'êducation des antichambres. Ses traits d'une beautê mâle ont rêsistê au double servage du tzar et du seigneur. Le paysan de la Grande et de la Petite Russie a un esprit très dêliê et cette vivacitê presque mêridionale qu'on s'êtonne de trouver au Nord. Il parle bien et beaucoup; l'habitude d'être toujours avec ses voisins l'a rendu communicatif.
   ...Arrivês à l'un des derniers relais russes, nous attendions les chevaux de poste dans une petite pièce, chauffêe comme une serre. La femme du maître de poste, sale, malpeignêe et criarde, nous forèait de prendre du thê. Fatiguê de contempler une gravure - très intêressante - qui ornait le mur au-dessus d'un sopha en cuir, je fus enchantê d'entendre du bruit devant la maison.
   Pourtant, avant de quitter la gravure, j'en dois faire connaître le sujet, qui est très caractêristique. Apparemment elle appartenait aux temps qui suivirent le règne de Pierre Ier. C'êtait lui, assis devant une table couverte de mets et de flacons. Le prince Mênchikoff, s'inclinant profondêment, lui prêsentait et lui offrait une jeune personne - la future impêratrice Catherine Ire. L'inscription disait: "Le bon sujet cède ce qu'il a de plus prêcieux à son Tzar bien-aimê".
   Je me repens encore aujourd'hui de n'avoir pas achetê cette gravure...
   Je sortis pour m'enquêrir de ce qui excitait le tumulte. Un officier se dêmenait devant un groupe de yamchiks (postillons), injuriant tout le monde, criant à tue-tête. Les yamchiks le regardaient faire avec cette ironique impassibilitê, qui est le propre des paysans russes. Derrière l'officier se tenait le maître de poste, fortement avinê; il criait aussi, mais en même temps il faisait, des yeux, des signes d'intelligence aux paysans.
   - Où est le starost? où est le starost? - criait l'officier êcumant de rage.
   - Où est le starost?... - rêpêtaient quelques paysans avec une tranquillitê apathique, qui ferait endiabler un saint.- Mais voilà que le starost n'y est pas,- trois hommes sont allês le chercher.- Au cabaret, il n'y est pas, chez sa marraine, non plus.- Où peut-il être le starost? C'est êtonnant.
   Il êtait certain que le starost êtait prêsent, qu'il êtait là, dans le groupe.
   - Les brigands,- criait le maître de poste.- Ah! les brigands, ils ne veulent pas chercher le starost.
   - Et vous,- rêpliqua l'officier, - quel maître de poste êtes-vcus donc? C'est ainsi qu'on vous obêit. Vous reprêsentez bien l'autoritê! Je ferai un rapport, j'êcrirai moi-même au comte Adlerberg (ministre de la poste), je le connais personnellement.
   - Epargnez un père de famille, vingt-trois ans de services, mêdaille pour la prise de Varna, deux blessures, une balle d'outre en outre, dêcoration pour un service irrêprochable de vingt ans, - rêpêtait machinalement le maître de poste, sans être trop effrayê.
   Comme l'affaire n'avanèait pas, l'officier s'en prit à un jeune garèon de seize à dix-sept ans. - Comment,- dit-il,- tu me ris au nez, tu me ris au nez! Je t'apprendrai à ne pas respecter les êpaulottes, - et il s'êlanèa sur le jeune homme; celui-ci, esquivant le coup de poing dont l'officier le menaèait, se mit à courir; l'officier voulut le poursuivre, mais la neige êtait si profonde, qu'il s'enfonèa jusqu'aux genoux. Les paysans êclatèrent de rire. - Mais c'est une rêvolte! - c'est une rêvolte! - cria l'officier, et il ordonnait impêrieusement au jeune garèon, qui grimpait comme un êcureuil à la cime d'un arbre, de descendre. - Non,- rêpondit l'autre,- je ne descendrai pas,- tu me battras... - Descends, mauvais garnement, descends!- ajoutait le maître de poste. Le jeune homme secouait la tête.
   - Voilà! - continua le maître de poste, parlant à l'officier,- votre grâce, vous pouvez juger par vous-même maintenant, à quels hommes nous avons à faire depuis le matin jusqu'au soir - pires que des Turcs! - Quand est-ce que Dieu me dêlivrera de cet enfer? Je n'y reste qu'à cause des trois annêes qui me manquent pour la pension.- Mais, votre grâce, soyez tranquille, je viendrai à bout de ces brigands-là, et ils vous mèneront même sans argent. J'enverrai de suite chercher le commissaire du district, il ne demeure pas loin; huit lieues d'ici - pas même, sept et demie. En attendant, si votre grâce voulait prendre un peu de thê?..
   - Mais, est-ce que vous êtes fou par hasard? - lui dit l'officier d'un ton de dêsespoir. Comment voulez-vous que je perde mon temps à attendre le commissaire? Donnez-moi des chevaux, donnez-moi des chevaux...
   Ma voiture êtait attelêe; je ne sais pas comment l'histoire s'est terminêe. Mais on peut être sûr que l'officier a êtê flouê. Mon postillon souriait tout le long de la route. L'histoire de l'officier lui trottait dans la tête.- "C'est une tête chaude, l'officier", lui dis-je.- "Cela ne fait rien. Il n'est pas le premier; nous avons bien vu, dès le commencement, qu'il se fatiguerait bientôt".
   ...Il suffit d'un trajet de deux heures pour entrer dans un autre monde. C'est comme un changement à vue au thêâtre. Le terrain devient plus accidentê, même lêgèrement montagneux, le chemin serpente,- ce n'est plus cette ligne droite, infinie, tracêe sur un ocêan de neige, que Mickiewicz a si bien dêcrit.
   La première maison de poste livonienne êtait situêe sur une montagne. J'entrai dans la "Passagierstube". Il rêgnait autant de propretê, autant d'ordre dans cette chambre, que si on l'eût peinte la veille, ou qu'on attendît une visite le lendemain. Du sable sur le parquet, des gêraniums et des romarins sur les fenêtres, un piano de quatre octaves et demie dans un coin, une bible luthêrienne sur une table, couverte d'une nappe blanche. Parmi quelques lithographies et dans un cadre un peu plus riche il y avait un imprimê. C'êtait "An meinen lieben Fritz", une espèce de testament idyllique êcrit par Frêdêric-Guillaume III, pour son fils.
   Le maître de poste, vieillard dêbonnaire, avec cet air d'une naïvetê bêate qui n'appartient qu'aux Allemands, avait endossê pour moi son habit gris, ornê de boutons en nacre. Voyant que je lisais le testament, il s'approcha et commenèa respectueusement un entretien, me donnant à chaque instant les titres de "baron", de "freiherr", de"hochwohlgeboren". Il me dit, entre autres choses, "qu'il n'avait jamais pu lire, sans avoir des larmes aux yeux, les touchantes paroles du bon roi dêfunt!"
   Comme le maître de poste disait que le vent faisait pressentir une nuit très orageuse et me conseillait de rester jusqu'au matin, je voulus voir ce qui en êtait et je sortis dans la rue. Une bise forte et glacêe soufflait entre les rameaux dênudês des arbres, les secouant avec violence. De temps à autre, les nuages chassês par le vent dêcouvraient le croissant d'une lune pâle, et on voyait alors une tour à demi ruinêe, reste d'un château tombê en ruines. Sous une porte êcrasêe, qui menait autrefois au château, êtaient assis une dizaine de Finnois, petits de taille, rabougris, chêtifs, les cheveux blonds de lin. Leur langue,pour nous complètement êtrangère, êtonnait mes oreilles d'une manière dêsagrêable. Au-dessus de la porte êtait clouê un aigle empaillê. Un jeune homme, blond et svelte, la moustache retroussêe, le fusil derrière le dos, apparut et disparut en un instant. Il êtait dans un petit traîneau qu'il conduisait lui-même. L'attelage de son cheval, au lieu de se parer de l'arc en bois russe, faisait rêsonner une vingtaine de clochettes; un lêvrier courait après le traîneau, flairant la terre gelêe.
   En Livonie, en Courlande, il n'y a pas de villages pareils à ceux de la Russie. Ce sont des fermes dissêminêes autour d'un château. Les cabanes des paysans sont êparses; la commune russe n'existe pas ici. Un pauvre peuple, bon, mais peu douê, êvidemment sans avenir, êcrasê par une servitude sêculaire, dêbris d'une population fossile qui est submergêe sous les flots des autres races, babite ces fermes. La distance entre les Allemands et les Finnois est immense; la civilisation germaine, il faut le dire, êtait bien peu communicative. Les Finnois de ces contrêes sont restês à demi sauvages, après tant de siècles de coexistence et de rapports continuels avec les Allemands. C'est l'empereur Nicolas qui a pensê le premier à leur êducation - à sa manière bien entendu - il en a fait des Grecs orthodoxes.
   Mais c'est à Riga, dans ces rues sombres et êtroites, dans cette ville de privilèges, de corps de mêtiers, de "Zûnfte", d'esprit hansêatique et luthêrien, où le commerce lui-même est arriêrê et stationnaire, où la population russe appartient aux dissidents rêtrogrades, qui se sont expatriês il y a deux siècles, trouvant le rêgime du tzar Alexis trop rêvolutionnaire, et le patriarche Ni-con, novateur trop audacieux; c'est là que j'ai compris toute la diffêrence entre le monde que je venais de quitter et celui dans lequel j'entrais.
   Des Juifs dêcharnês, couverts d'une calotte en velours noir, aux jambes fines, en culottes courtes, chaussês de bas de coton et de souliers dêcouverts au plus fort d'un hiver baltique; des nêgociants allemands avec un air de majestê sênatoriale, qui vous engage à prendre un autre chemin, pour ne pas les rencontrer... On ne parle au casino, au club, que des monopoles concêdês à la ville en 1600, des franchises octroyêes en 1450, des dernières innovations faites en 1701...
   Les Allemands de la Baltique, fils d'une civilisation ancienne, se sont, il y a des siècles, dêtachês du grand mouvement historique; ils prirent alors un pli invariable, ils s'arrêtèrent à ce qu'ils êtaient, sans rien acquêrir depuis; ils mirent l'ordre, la règle, la mesure dans leurs idêes et dans leurs affaires pour n'en jamais dêvier. Il est êvident dès lors qu'ils doivent dêtester le vague, l'exagêration, le dêsordre qui rêgnent, non seulement dans les lois, mais même dans les mœurs russes.
   Nous ne sommes point parvenus à une stabilitê dêterminêe, nous la cherchons, nous aspirons à un ordre social plus conforme à notre nature et nous restons dans un provisoire arbitraire, le dêtestant et l'acceptant, voulant nous en dêfaire et le subissant à contre-cœur. Eux, au contraire, ils sont de vêritables conservateurs, ils ont beaucoup perdu, et ils craignent de perdre le reste. Nous n'avons qu'à gagner, nous n'avons rien à perdre. Nous obêissons par contrainte, nous prenons les lois qui nous rêgissent pour des prohibitions, pour des entraves et nous les enfreignons lorsque nous le pouvons ou l'osons; sous ce rapport point de scrupule. Chez eux, au contraire, une partie de la loi est prise au sêrieux; l'enfreindre serait un crime à leurs propres yeux. Cette partie soutient l'autre, dont l'absurditê est êvidente pour tous.
   Ils ont une moralitê fixe - nous, un instinct moral.
   Ils ont sur nous l'avantage d'avoir des règles positives, êlaborêes; ils appartiennent à la grande civilisation europêenne. Nous avons sur eux l'avantage des forces robustes, d'une certaine latitude d'espêrances. Là où ils sont arrêtês par leur conscience, nous sommes arrêtês par un gendarme. Arithmêtiquement faibles, nous cêdons; leur faiblesse est une faiblesse algêbrique, elle est dans la formule même.
   Nous les froissons profondêment par notre laisser-aller, par notre conduite, par le peu de mênagement des formes, par l'êtalage de nos passions demi-barbares et demi-corrompues. Ils nous ennuient mortellement par leur pêdantisme bourgeois, par leur purisme affectê, par leur conduite irrêprochablement mesquine.
   Chez eux enfin un homme qui dêpense plus de la moitiê de ses revenus est taxê de fils prodigue, de dissipateur. Un homme qui se borne chez nous à ne manger que ses revenus est considêrê comme un monstre d'avarice...
   Cette antithèse si tranchêe, presque exagêrêe, comme nous l'avons dit nous-mêmes, entre la Russie et les provinces Baltiques, se retrouve, quant au fond, entre le monde slave et l'Europe.
   Il y a pourtant cette diffêrence, c'est que dans le monde slave, il y a un êlêment de civilisation occidentale à la surface, et dans le monde Europêen un êlêment complètement barbare à la base, tandis que les paysans de Pskov n'ont absolument rien de civilisê et que les Allemands baltiques recouvrent, non pas une population barbare et homogène, mais une population en dêcadence et complètement hêtêrogène.
   Les peuples germano-latins ont produit deux histoires, ont crêê deux mondes dans le temps et deux mondes dans l'espace. Ils se sont usês deux fois. Il est très possible qu'ils aient assez de sève, assez de puissance pour une troisième mêtamorphose - mais elle ne pourra se faire par les formes sociales existantes, ces formes êtant en contradiction flagrante avec la pensêe rêvolutionnaire. Nous avons dêjà vu que, pour que les grandes idêes de la civilisation europêenne se rêalisent, il leur faut traverser l'Ocêan et chercher un sol moins encombrê de ruines.
   Au contraire, toute l'existence passêe des peuples slaves porte un caractère de commencement, d'une prise de possession, de croissance et d'aptitude. Ils ne font qu'entrer dans le grand fleuve de l'histoire. Ils n'ont jamais eu un dêveloppement conforme à leur nature, à leur gênie, à leurs aspirations. Quelles sont ces aspirations? Nous le verrons dans la suite. Je me borne à dire qu'elles ne sont pas formulêes comme thêories, mais qu'elles existent dans la vie populaire, dans ses chants et ses lêgendes, qu'elles prêexistent dans le habitus - de toutes les races slaves. C'est un instinct, un entraînement naturel, constant, fort, mais confus, mêlê à des êlucubrations nationales et religieuses plutôt qu'une conception raisonnêe, arrêtêe.
   L'histoire des Slaves est pauvre.
   A l'exception de la Pologne, les Slaves appartiennent plus à la gêographie qu'à l'histoire.
   Il y a un peuple slave qui n'a vraiment existê que durant une lutte - la guerre des Taborites.
   Il y en a un autre qui n'a fait que tracer ses limites, que poser des jalons, que prêparer sa place et relier par une unitê forcêe, provisoire la sixième partie du globe terrestre qu'il a fièrement prise pour son arène...
   ...Ces peuples si peu remarquês dans leur passê, si peu connus dans leur prêsent, n'ont-ils pas quelques droits sur l'avenir?
   Nous sommes loin de penser que l'avenir appartienne à toutes les races qui n'ont rien fait, et qui n'ont que beaucoup souffert.
   Mais il peut bien appartenir à celles d'entre elles, qui sans titre, et sans y être invitêes, prennent hardiment leur place dans le grand concile des nations actives; qui forcent l'entrêe de l'histoire, qui se mêlent de toutes les affaires, poussêes par une activitê dêvorante; qui occupent toutes les imaginations et se prêcipitent à corps perdu dans le courant de l'aorte historique.
   Il y a, dans l'apparition de certains peuples quelque chose qui arrête le penseur, le fait mêditer, le rend inquiet comme s'il sentait une nouvelle mine souterraine, une nouvelle force, une fermentation sourde qui cherche à soulever la croûte, à dêborder; comme s'il entendait dans un lointain inconnu des pas de gêants qui se rapprochent de plus en plus.
   Tel est le rôle de la Russie depuis Pierre Ier.
   Il y a moins d'un siècle, la France contestait encore le titre d'empereur aux tzars, et maintenant il ne s'agit plus du titre mais bien du fait de la domination russe qui s'êtend jusqu'au Rhin {L'Allemagne n'existe que de nom. Ce sont des provinces Baltiques, auxquelles on a laissê quelques droits illusoires, par exemple celui d'être non seulement sujets de Nicolas, mais en même temps sujets de leur petits princes. Ces jours derniers, les journaux annonèaient l'arrivêe "de la grande-duchesse Olga - avec son mari le prince royal de Wurtemberg". Personne ne s'êtonna de voir cette phrase antisalique.} qui descend jusqu'au Bosphore, et qui recule d'un autre côtê jusqu'à l'Ocêan Pacifique.
   Quel est le sens de ces prêtentions arrogantes - de ces concessions pitoyables?
   Sont-ce des Huns, qui accourent pour en finir avec Rome et se perdre ensuite parmi les cadavres? - Ou, des Osmanlis qui veulent essayer encore une fois, si la chrêtientê occidentale est mûre pour la tombe?
   Est-ce enfin une catastrophe, un cataclysme, une nuêe de sauterelles, un incident terrible survenu pendant l'entr'acte qui sêpare deux mondes, une de ces apparitions lugubres qui prêcipitent le dênoûment? Ou est-ce dêjà le commencement même d'un ordre de chose nouveau; et les Slaves ne sont-ils pas les anciens Germains, par rapport au monde qui s'en va?
   Il suffit de la possibilitê de poser une question pareille, pour que tout ce qu'on pourra dire sur ce sujet soit d'un très grand intêrêt. Et si on avait la têmêritê d'aller jusqu'à affirmer qu'au milieu de ces aspirations vagues des peuples slaves, il y en a qui se rencontrent avec les aspirations rêvolutionnaires des masses en Europe; que dans ces chœurs lointains rêsonnent les mêmes accords qu'on entend retentir dans les profondeurs souterraines du vieux monde? Si on allait prouver que les barbares du Nord et les barbares "de la maison" ont, sans le savoir, un ennemi commun - le vieil êdifice fêodal, monarchique, et une espêrance commune - la rêvolution sociale?..
   L'empereur Nicolas peut, exêcuteur des hautes œuvres dont le sens lui êchappe, humilier à sa volontê l'arrogance stêrile de la France et la majestueuse prudence de l'Angleterre, il peut dêclarer la Porte russe et l'Allemagne moscovite - nous n'avons pas la moindre pitiê pour tous ces invalides. Mais ce qu'il ne peut pas, c'est empêcher une autre ligue qui se formera derrière son dos, ce qu'il ne peut pas, c'est empêcher que l'intervention russe ne soit le coup de grâce pour tous les monarques du continent, pour toute la rêaction, le commencement de la lutte sociale armêe, terrible, dêcisive.
   Le pouvoir impêrial du tzar ne survivra pas à cette lutte. Vainqueur ou vaincu, il appartient au passê; il n'est pas russe, il est profondêment allemand, allemand-byzantinisê. Il a donc deux titres à la mort.
   Et nous, deux titres à la vie - l'êlêment socialiste et la jeunesse.
   - Les jeunes gens meurent aussi quelquefois,- me disait, à Londres, un homme très distinguê, avec lequel nous parlions de la question slave.
   - C'est certain, lui rêpondis-je,- mais ce qui est beaucoup plus certain, c'est que les vieillards meurent toujours.
  
   Londres, 1 août 1853.
  

I

LA RUSSIE ET L'EUROPE

  
   Il y a deux ans, nous avons publiê une lettre sur la Russie, dans une brochure intitulêe: "Vom andern Ufer {Hambourg, Hoffman et Campe, 1849.}". Gomme notre manière de voir n'a pas changê depuis, nous croyons devoir en extraire les passages suivants:
   "C'est une pênible êpoque que la nôtre; tout, autour de nous, se dissout, tout s'agite dans un vertige, dans une fièvre maligne. Les plus noirs pressentiments se rêalisent avec une effrayante rapiditê...
   Un homme libre qui refuse de se courber devant la force n'aura bientôt d'autre refuge en Europe que le pont d'un vaisseau faisant voile pour l'Amêrique.
   Ne devons-nous pas nous poignarder à la manière de Caton parce que notre Rome succombe et que nous ne voyons rien, ou ne voulons rien voir hors de Rome?..
   On sait pourtant ce que fit le penseur romain qui sentait profondêment toute l'amertume de son temps: accablê de tristesse et de dêsespoir, comprenant que le monde auquel il appartenait allait crouler - il jeta ses regards au-delà de l'horizon national et êcrivit un livre: De moribus Germanorum. Il eut raison, car l'avenir appartenait à ces peuplades barbares.
   Nous ne prophêtisons rien, mais nous ne croyons pas non plus que les destins de l'humanitê soient clouês à l'Europe occidentale. Si l'Europe ne parvient pas à se relever parune transformation sociale, d'autres contrêes se transformeront; il y en a qui sont dêjà prêtes pour ce mouvement, d'autres s'y prêparent. L'une est connue, les Etats de l'Amêrique du Nord; l'autre est pleine de vigueur, mais aussi pleine de sauvagerie, on la connaît peu ou mal.
   L'Europe entière, sur tous les tons, dans les parlements et dans les clubs, dans les rues et dans les journaux a rêpêtê le cri du Krakehler berlinois "Les Russes viennent, les Russes viennent!" Et. en effet, non seulement ils viennent, mais ils sont venus, grâce à la maison de Habsbourg, et peut-être vont-ils s'avancer encore plus, grâce à la maison de Hohenzollern. Personne, cependant, ne sait au juste ce que sont ces Russes, ces barbares, ces Cosaques; l'Europe ne connaît ce peuple, que par une lutte dont il est sorti vainqueur. Cêsar connaissait mieux les Gaulois, que l'Europe moderne ne connaît la Russie. Tant qu'elle avait foi en elle-même, tant que l'avenir ne lui apparaissait que comme une suite de son dêveloppement, elle pouvait ne pas s'occuper d'autres peuples; - aujourd'hui les choses ont bien changê. Cette ignorance superbe ne sied plus à l'Europe.
   Et chaque fois qu'elle reprochera aux Russes d'être esclaves, les Russes auront le droit de demander: "Et vous, êtes-vous libres?"
   A dire vrai, le XVIIIe siècle accordait à la Russie une attention plus profonde et plus sêrieuse que ne le fait le XIXe, peut-être parce qu'il la redoutait moins.
   Des hommes comme Muller, Schlosser, Ewers, Lêvesque, consacrèrent une partie de leur vie à l'êtude de l'histoire de la Russie, d'une manière tout aussi scientifique que s'en occupèrent, sous le rapport physique, Pallas et Gmelin. De leur côtê, des philosophes et des publicistes observaient avec curiositê le phênomène d'un gouvernement despotique et rêvolutionnaire à la fois. Ils voyaient que le trône, fondê par Pierre Ier, avait peu d'analogie avec les trônes fêodaux et traditionnels de l'Europe.
   Les deux partages de la Pologne furent la première infamie qui souilla la Russie. L'Europe ne comprit pas toute la portêe de cet êvênement; car elle êtait alors distraite par d'autres soins. Elle assistait, respirant à peine, aux grands êvênements par lesquels s'annonèait dêjà la Rêvolution franèaise. L'impêratrice de Russie tendit naturellement sa main toute dêgoûtante de sang polonais à la rêaction. Elle lui offrit l'êpêe de Souvoroff, de ce bouclier fêroce de Prague. La campagne que Paul fit en Suisse et en Italie n'eut absolument aucun sens, elle ne pouvait que soulever l'opinion publique contre la Russie.
   L'extravagante êpoque de ces guerres absurdes, que les Franèais nomment encore aujourd'hui la pêriode de leur gloire, finit avec leur invasion en Russie; ce fut une aberration de gênie, comme la campagne d'Egypte. Il plut à Bonaparte de se montrer à l'univers, debout sur un monceau de cadavres. A l'ostentation des Pyramides, il voulut ajouter celle de Moscou et du Kremlin. Cette fois il ne rêussit pas; il souleva contre lui tout un peuple qui saisit rêsolument les armes, traversa l'Europe derrière lui, et prit Paris.
   Le sort de cette partie du monde fut, pendant quelques mois, entre les mains de l'empereur Alexandre, mais il ne sut profiter ni de sa victoire, ni de sa position; il plaèa la Russie sous le même drapeau que l'Autriche, comme si entre cet empire pourri et mourant et le jeune Etat qui venait d'apparaître dans sa splendeur, il y eût quelque chose de commun, comme si le reprêsentant le plus ênergique du monde slave pût avoir les mêmes intêrêts que l'oppresseur le plus ardent des Slaves.
   Par cette monstrueuse alliance avec la rêaction europêenne, la Russie, à peine grandie par ses victoires, fut abaissêe aux yeux de tous les hommes pensants. Ils secouèrent tristement la tête en voyant cette contrêe qui venait, pour la première fois, de prouver sa force, offrir aussitôt après sa main et son aide à tout ce qui êtait rêtrograde et conservateur, et cela, contrairement même à ses propres intêrêts.
   Il ne manquait que la lutte atroce de la Pologne pour soulever dêcidêment toutes les nations contre la Russie. Lorsque les nobles et malheureux restes de la Rêvolution polonaise, errant par toute l'Europe, y rêpandirent la nouvelle des horribles cruautês des vainqueurs, il s'êleva de toutes parts, dans toutes les langues europêennes, un êclatant anathème contre la Russie. La colère des Peuples êtait juste...
   Rougissant de notre faiblesse et de notre impuissance, nous comprenions ce que notre gouvernement venait d'accomplir par nos mains, et nos cœurs saignaient de douleur, et nos yeux s'emplissaient de larmes amères.
   Chaque fois que nous rencontrions un Polonais, nous n'avions pas le courage de lever sur lui nos regards. Et cependant je ne sais s'il est juste d'accuser tout un peuple et de le rendre seul responsable de ce qu'a fait son gouvernement.
   L'Autriche et la Prusse n'y ont-elles pas aidê? La France, dont la fausse amitiê a causê à la Pologne autant de mal que la haine dêclarêe d'autres peuples, n'a-t-elle donc pas, dans le même temps, par tous les moyens, mendiê la faveur de la cour de Pê-tersbourg; l'Allemagne, alors dêjà, n'êtait-elle pas volontairement, à l'êgard de la Russie, dans la situation où se trouvent aujourd'hui forcêment la Moldavie et la Valachie; n'êtait-elle pas alors comme maintenant gouvernêe par les chargês d'affaires de la Russie et par ce proconsul du tzar qui porte le titre de roi de Prusse?
   L'Angleterre seule se maintint noblement sur le pied d'une amicale indêpendance; mais l'Angleterre ne fit rien non plus pour les Polonais; elle songeait peut-être à ses propres torts envers l'Irlande. Le gouvernement russe n'en mêrite pas moins de haine et de reproches; je prêtends seulement faire aussi retomber cette haine sur tous les autres gouvernements, car on ne doit pas les sêparer l'un de l'autre;.ce ne sont que les variations d'un même thème.
   Les derniers êvênements nous ont beaucoup appris; l'ordre rêtabli en Pologne et la prise de Varsovie sont relêguês à l'ar-rière-plan, depuis que l'ordre règne à Paris et que Rome est prise; depuis qu'un prince prussien prêside aux fusillades, et que la vieille Autriche, dans le sang jusqu'aux genoux, essaie d'y rajeunir ses membres paralysês.
   C'est une honte en l'an 1849, après avoir perdu tout ce qu'on avait espêrê, tout ce qu'on avait acquis, à côtê des cadavres de ceux que l'on a fusillês, êtranglês, à côtê de ceux qu'on a jetês dans les fers,dêportês sans jugement; à l'aspect de ces malheureux chassês de contrêe en contrêe, à qui on donne l'hospitalitê, comme aux Juifs du moyen âge, à qui l'on jette, comme aux chiens, un morceau de pain, pour les obliger de continuer leur chemin - en l'an 1849, c'est une honte de ne reconnaître le tzarisme que sous le 59 degrê de latitude borêale. Injuriez tant qu'il vous plaira et accablez de reproches l'absolutisme de Pêtersbourg et la triste persêvêrance de notre rêsignation; mais injuriez le despotisme partout et reconnaissez-le sous quelque forme qu'il se prêsente. L'illusion optique, au moyen de laquelle on donnait à l'esclavage l'aspect de la libertê s'est êvanouie.
   Encore une fois: s'il est horrible de vivre en Russie, il est tout aussi horrible de vivre en Europe. Pourquoi ai-je donc quittê la Russie? Pour rêpondre à cette question, je traduirai quelques paroles de ma lettre d'adieux à mes amis:
   ,,Ne vous y trompez pas! Je n'ai trouvê ici ni joie, ni distractions, ni repos, ni sêcuritê personnelle; je ne puis même imaginer que personne aujourd'hui puisse trouver en Europe ni repos ni joie.
   Je ne crois ici à rien qu'au mouvement; je ne plains rien que les victimes; je n'aime rien que ce que l'on persêcute; et je n'estime rien que ce que l'on supplicie, et cependant je reste. Je reste pour souffrir doublement de notre douleur et de celle que je trouve ici, peut-être pour succomber dans la dissolution gênêrale. Je reste, parce qu'ici la lutte est ouverte, parce qu'ici elle a une voix.
   Malheur à celui qui est vaincu ici! Mais il ne succombe pas sans avoir fait entendre sa voix, sans avoir êprouvê sa force dans le combat; et c'est à cause de cette voix, à cause de cette lutte ouverte, à cause de cette publicitê, que je reste".
   Voilà ce que j'êcrivais le 1er mars 1849. Les choses, depuis lors, ont bien changê. Le privilège de se faire entendre et de combattre publiquement s'amoindrit chaque jour davantage, l'Europe chaque jour davantage devient semblable à Pêtersbourg; il y a même des contrêes qui ressemblent plus à Pêtersbourg que la Russie même.
   Et si l'on en vient, en Europe aussi, à nous mettre un bâillon sur la bouche, et que l'oppression ne nous permette pas même de maudire, à haute voix, nos oppresseurs, nous nous en irons alors "n Amêrique, sacrifiant tout à la dignitê de l'homme et à la libertê de la parole".
  

II

LA RUSSIE AVANT PIERRE Ier

  
   L'histoire russe n'est que l'embryogênie d'un Etat slave; la Russie n'a fait que s'organiser. Tout le passê de ce pays, depuis le IXe siècle, doit être considêrê comme l'acheminement vers un avenir inconnu, qui commence à poindre.
   La vêritable histoire russe ne date que de 1812 - antêrieurement il n'y avait que l'introduction.
   Les forces essentielles du peuple russe n'ont jamais êtê effectivement absorbêes par son dêveloppement, comme l'ont êtê celles des peuples germano-romains.
   Au IXe siècle, ce pays se prêsente comme un Etat organisê d'une toute autre manière que les Etats d'Occident. Le gros de la population appartenait à une race homogène, dissêminêe sur un territoire très vaste et très peu habitê. La distinction qu'on trouve partout ailleurs entre la race conquêrante et les races conquises ne s'y rencontrait point. Les peuplades faibles et infortunêes des Finnois, clairsemêes et comme perdues parmi les Slaves, vêgêtaient hors de tout mouvement, dans une soumission passive, ou dans une sauvage indêpendance; elles êtaient de nulle importance pour l'histoire russe. Les Normands (Varègues), qui dotèrent la Russie de la race princière qui y rêgna, sans interruption, jusqu'à la fin du XVIe siècle, êtaient plus organisateurs que conquêrants. Appelês par les Novgorodiens, ils s'emparèrent du pouvoir et retendirent bientôt jusqu'à Kiev {On a beaucoup discouru sur la manière dont les Varègues se sont êtablis en Russie, question tout historique qui ne nous intêresse que mêdiocrement. La grande importance de la version de Nestor consiste à faire-voir la manière dont on envisageait l'invasion varègue au XIIe siècle, et il faut avouer qu'elle seule met au jour le rôle vêritable des Normands.}.
   Les princes varègues et leurs compagnons perdirent à la fin de quelques gênêrations le caractère de leur nationalitê, et s& confondirent avec les Slaves, après avoir imprimê toutefois une impulsion active et une nouvelle vie à toutes les parties de cet Etat à peine organisê.
   Le caractère slave prêsente quelque chose de fêminin; cette race intelligente, forte, remplie de dispositions variêes, manque d'initiative et d'ênergie. On dirait, que la nature slave, ne se suffisant pas à elle-même, attend un choc qui la rêveille. Le premier pas lui coûte toujours, mais la moindre impulsion met chez lui en jeu une force de dêveloppement extraordinaire. Le rôle des Normands a êtê pareil à celui qu'a rempli plus tard Pierre le Grand, par la civilisation occidentale.
   La population êtait partagêe en petites communes ruralesr les villes êtaient rares et ne se distinguaient en rien des villages, exceptê par leur plus grande êtendue et par l'enceinte en bois qui les entourait (le mot russe gorod, ville, provient de gorodite, enclore). Chaque commune reprêsentait, pour ainsi dire, la descendance d'une famille qui possêdait ses biens sans partage individuel, en commun, sous l'autoritê patriarcale exercêe par un des chefs de famille reconnu pour l'ancien. Ce rêgime tout monarchique êtait corrigê par l'autoritê de tout le monde (vess mir), c'est-à-dire par l'unanimitê des habitants. Et, comme l'organisation sociale des villes êtait la même que celle des campagnes, il est êvident que le pouvoir princier êtait contrebalancê par la rêunion gênêrale des citadins (vêtchê).
   Il n'y avait aucune distinction entre les droits des citadins et ceux des paysans. En gênêral, nous ne rencontrons dans la vieille Russie aucune classe distincte, privilêgiêe, isolêe. Il n'y avait que le peuple et une race, ou plutôt une famille princière, souveraine, la descendance de Rurik le Varègue, qui êtait complètement distincte du peuple. Les membres de la famille princière partageaient entre eux toute la Russie, selon l'anciennetê gênêalogique des branches auxquelles ils appartenaient et leur propre anciennetê. L'Etat êtait divisê en apanages, qui n'avaient rien de fixe et qui êtaient gouvernês chacun par son prince sous la suprêmatie du plus ancien de la famille, qui s'appelait grand prince et avait pour apanage Kiev, plus tard Vladimir et Moscou. Le pouvoir du grand prince sur les autres princes êtait très restreint. Ceux-ci reconnaissaient la suprêmatie de Kiev, mais il n'y avait presque aucune dêpendance rêelle, aucune centralisation administrative. Les apanages n'êtaient point envisagês comme des propriêtês individuelles des princes, ils ne. pouvaient l'être, car les princes passaient souvent d'un apanage à un autre, en rêunissaient plusieurs à la fois, par voie d'hêritage, ou bien faisaient de leur lot autant de parts qu'ils avaient de fils et d'hêritiers mâles; ou bien encore ils devenaient grands princes selon l'anciennetê (ce n'êtait pas le fils aînê qui succêdait au grand prince, mais le frère de celui-ci). On peut s'imaginer, sans peine, à quelles luttes sanglantes, à quelles contestations êternelles donnait lieu une hêrêditê si compliquêe. Les guerres entre le grand prince et les princes apanages n'ont pas discontinuê jusqu'à l'êtablissement de la centralisation moscovite.
   Nous trouvons autour des princes un cercle très restreint de leurs compagnons d'armes, amis ou dignitaires, qui forme quelque chose dans le genre d'une aristocratie très difficile à caractêriser, parce qu'elle n'avait rien de dêfini ou de bien prononcê. Le titre de boyard êtait honoraire, il ne donnait aucun droit positif et n'êtait pas même hêrêditaire. Les autres titres ne reprêsentaient que des fonctions, en sorte que l'êchelle des dignitês aboutissait imperceptiblement à la grande classe des paysans. Aussi toute cette couche sup&

Категория: Книги | Добавил: Ash (11.11.2012)
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